La direction de La Poste et le gouvernement avaient annoncé au cours de l’été 2008 leur intention de privatiser le groupe La Poste avant l’ouverture totale à la concurrence du secteur en 2011.. Le moyen prévu pour y parvenir était semblable à celui utilisé par le passé pour d’autres entreprises publiques comme France Télécom ou EDF-GDF, à savoir la création d’une société en action avec capitaux publics afin de faire sauter le verrou du statut de l’entreprise. Une fois ce verrou débloqué, le reste peut suivre, cotation en bourse, introduction de capitaux privés, jusqu’à, comme avec GDF-Suez, la fusion permettant la création d’une nouvelle entreprise. Cependant la crise des subprimes aux états-Unis suivie de la crise financière mondiale à l’automne 2008 a refroidi un peu l’empressement à légiférer pour introduire les services postaux en bourse. Le projet a donc été mis en suspens, en attendant une situation économique plus favorable, et politiquement plus stable. Les marchés financiers ayant, grâce entre autre à l’injection d’argent public, retrouvé le chemin de la spéculation rentable, le projet de transformer La Poste en société anonyme est de retour dans l’agenda gouvernemental depuis la fin du printemps et dans le calendrier parlementaire depuis octobre pour un vote définitif en décembre.
La privatisation des activités postales en France s’inscrit dans une politique bien plus large qui est celle de la libéralisation des marchés et de la privatisation des entreprises du secteur public à l’échelle européenne et mondiale. Elle s’inscrit aussi dans la logique de privatisation d’autres services, comme l’énergie, les télécommunications ou l’éducation. Cette vague de privatisation a été pensée et mise en route il y plus de trente ans. Si l’activité postale a toujours été liée à l’état pour des raisons de contrôle stratégique évidentes, la période de la reconstruction après 1945 a été une période de nationalisation importante et a introduit la notion ambiguë de service public géré par l’État. Cette ambiguïté est issue d’un compromis fait par les classes dirigeantes pour répondre aux nouveaux rapports de force sociaux qui ont suivi la crise de 1929 et la 2ième guerre mondiale. Ainsi les nouveaux rapports de force hérités de la lutte contre le fascisme auquel une partie de la bourgeoisie avait collaboré, ont conduit à donner via les services publics des petits bouts de redistribution des richesses , mais contrôlés par l’état. Mais ils ont aussi servi les intérêts du capitalisme d’après-guerre en assurant des profits au capital par la construction par la collectivité des infrastructures aidant à son développement. A partir des années 60 et 70 la baisse du niveau de profit, liée aux luttes ouvrières puis aux chocs pétroliers, a donné la contre offensive libérale, par l’ouverture des marchés et les privatisations des services publics. Les gestionnaires politiques de droite comme de gauche ont commencé à libéraliser.
La privatisation de La Poste découle comme pour d’autres secteurs de cette logique, mise en concurrence de l’activité et privatisation. Le but étant d’ouvrir le marché pour capter les bénéfices liés à cette activité. C’est un enjeu, puisque La Poste a un chiffre d’affaires supérieur à 20 milliards d’euros par an et a fait 2,5 milliards de bénéfices entre 2006 et 2008. Mais la privatisation d’un service public comme La Poste a en plus un but idéologique. Celui de promouvoir l’idée selon laquelle le marché serait le plus efficace pour organiser la société. Il faut donc moderniser l’entreprise. Cela s’est fait sur vingt ans, par touches successives. D’abord en 1989-91 avec la séparation des PTT en deux ; et le choix du statut d’Epic pour La Poste, lui permettant entre autre d’employer des travailleurs de droits privé. Ensuite, par l’ouverture graduée à la concurrence des activités jusqu’à l’ouverture totale en 2011, et enfin par le changement de statut de l’entreprise pour y faire face, selon le discours servi par la direction de l’entreprise et le gouvernement. A chaque fois, c’est l’état qui a été à la manœuvre pour organiser le démantèlement, montrant ainsi qu’il n’est pas un acteur neutre agissant pour le bien commun, mais un outil de domination au service du capital. Derrière les discours rassurants sur le thème de « ce n’est pas une privatisation », il s’agit clairement de faire un cadeau aux patrons.
Jusqu’à présent, les privatisations ont été faites par les gouvernements, sans trop de peine. Jospin a privatisé France Télécom en ne faisant face qu’à des journées de grève dans l’entreprise, sans soutien et mobilisation dans la société. Avec EDF-CGF Sarko a fait de même, sans à avoir à affronter un vrai bras de fer avec les organisations syndicales du secteur. La privatisation de La Poste présente une autre configuration. En France les services publics sont un enjeu du débat politique sur les choix de société. La Poste est symbolique pour la population de ce qui reste de services publics– avec l’école et l’hôpital – et à travers la distribution du courrier les gens ont un rapport quotidien et humanisé de ce service qui le singularise par rapport à ses prédécesseurs. La période politique n’étant pas aux luttes d’ensemble ou offensives, la défense de ce qui reste de service public postal devient fédérateur. Les gens percevant instinctivement que c’est un recul social, fort de l’expérience d’autres privatisations qui ont conduit à l’augmentation des tarifs et à la dégradation des prestations. La situation est donc plus favorable pour empêcher le gouvernement de faire ce cadeau au capital. Bien sûr, un échec du gouvernement ne stoppera pas la libéralisation qui entraîne aussi une dégradation. De même la gestion étatique ne présente aucune garantie sociale. Mais même défensive, une lutte victorieuse donnerait des billes pour se battre aux salariés de La Poste.
L’opposition à la privatisation se construit autour de deux structures. Une unitaire syndicale de La Poste et un comité national réunissant 60 organisations dont les syndicats du secteur. Dans les faits depuis deux mois, c’est ce dernier qui fixe les orientations, palliant les difficultés d’avoir des positions syndicales offensives. La mobilisation a démarré entre la fin septembre et début octobre. D’abord par une journée de grève de 24H à La Poste qui a mobilisé un peu moins de 40% du personnel. Ensuite par l’organisation d’un vote appelé citoyen pour réclamer un référendum. Cette première étape fut un succès en demi teinte. Le niveau de grève du 22 septembre est loin d’être un échec, mais n’est pas non plus la déferlante qui ouvrirait sur une grève dure. La votation du 3 octobre, si elle est un succès en terme de participation – 2,2 millions de votants pour 10.000 points de vote – et d’outil pour rallier la population, est ambiguë. Elle reste sur le terrain institutionnel en demandant un référendum qui ne peut exister que par la bonne volonté du pouvoir sans se donner de moyen de l’y contraindre. Elle laisse penser qu’un simple mouvement d’opinion suffirait pour gagner, laissant désarmé face à la réalité de l’état qui n’a pas pour objet de réaliser la volonté populaire, ni le bien commun. Cela s’explique par la réalité des forces politiques qui composent ce comité. Les suites de la mobilisation le montre nettement puisque les étapes suivantes confirment le même choix. Tous les leviers institutionnels sont proposés avant d’envisager, à la fin du débat parlementaire, la construction du rapport de force dans la rue par des manifestations. Coté syndical, les mêmes atermoiements risquent de conduire à la défaite. Là aussi la plupart des syndicats se contenteraient d’un mouvement d’opinion, sans construire un rapport de force effectif. La question d’une grève dure est bien à l’ordre du jour des débats de l’intersyndicale du 5 novembre mais a très peu de chances d’être retenue.
La privatisation étant un cadeau fait au capital, avec pour conséquence une dégradation des conditions de travail dans l’entreprise et une détérioration de l’accès pour les couches populaires, il est nécessaire d’y faire échec. Le moyen, c’est la grève qui bloque l’acheminement et paralyse les entreprises. Ce n’est pas la seule expression d’une opinion, mais la construction d’un rapport de force qui contraindra le gouvernement à reculer. L’enjeu est de le construire aussi dans la population en passant de l’expression d’une opinion à la lutte contre le projet de loi. Investir les espaces de luttes, de manifestations et favoriser le soutien concret de la population à la grève peut-être déterminant pour changer la donne. La grève peut devenir populaire comme le montre aujourd’hui le soutien apporté aux conflits locaux. A nous également de poser la question de la finalité. Car bien sûr la gestion étatique ne protège de rien, et le statut quo n’offre pas de réelles améliorations. D’autant que c’est l’état qui organise le modèle concurrentiel, la course à la rentabilité et l’exploitation des salariés du secteur. En tant qu’anarchistes, outre la défense des intérêts de classes immédiats, à nous de mettre en débat non pas la nationalisation chère aux courants étatistes de la gauche, mais la gestion directe des services postaux.
Stéphane,
Groupe de Montpellier