L’État est par essence répressif et totalitaire ; Il cherche d’une part à assurer un contrôle et d’autre part à détruire ce qu’il ne peut contrôler. Cependant dans les démocraties occidentales, sans pour autant laisser cette pratique de côté, l’État a mis en place des moyens différents de la répression brutale pour maintenir le statu quo.
Une double dynamique a permis de dessiner les contours du masque démocratique ou de légitimer des pratiques répressives et totalitaires. Il y a d’abord eu la volonté de certains cercles du pouvoir économique et politique de faire adhérer les gens au modèle de société capitaliste. Là où les dictatures fascistes et communistes ont inventé le camp de concentration et le goulag, le système démocratique bourgeois utilise un procédé qui lui est propre : le contrôle social. Il s’agit donc d’intégrer de force l’individu au système, ou mieux de l’y faire adhérer de lui-même. Ce modèle tout en restant inégalitaire a donc cherché un compromis avec les classes exploitées à travers leur intégration au modèle capitaliste ; la première dynamique a consisté à octroyer quelques garanties économiques et sociales ainsi que la protection des individus face à l’état (l’État Providence, libertés individuelles et publiques : droits de réunion, de manifestation, de grève…). La seconde découle de la modification du rapport de force suite à la période allant de la crise du capital de 1929 à la fin de la seconde guerre mondiale, où il a fallu lâcher du lest ; notamment parce que la population s’était forgée une conscience collective avec des exigences politiques, mais également parce que l’on entrait en guerre froide, on devait alors représentait une alternative au totalitarisme stalinien.
Même en démocratie représentative, la répression étatique n’a jamais cessé totalement : des grèves ouvrières à la décolonisation, de mai 68 à Malik Oussekine (1986)… Pendant les trente années qui ont suivi, la politique économique et sociale, centrée sur le concept de « participation » des salariés au capital des entreprises, n’a pas trouvé grand écho auprès de la population. Malgré la croissance des Trente Glorieuses, un malaise social s’est installé. Le pouvoir est apparu lointain et le décalage entre celui-ci et la société s’est affirmé au grand jour notamment avec la crise sociale de 68. Toute la répression policière, et la violence sociale symbolique étaient légitimées par la peur même du totalitarisme, au sens de perte de la démocratie. C’est là le décalage entre le discours officiel auquel il était important que les gens adhèrent et la pratique concrète de l’état. Encore une fois grâce à son masque, se disant agir pour sauvegarder la démocratie française, l’État légitimait l’utilisation de toute forme de répression quelle qu’elle soit et par là même sa propre utilité.
Mais la tendance répressive se réaffirme pleinement après la chute du mur de Berlin ; dès lors les États de l’ouest n’ont plus aucun intérêt à se maintenir comme contre modèle, ils n’ont donc plus de raison de s’encombrer avec des contraintes « démocratiques ». Derrière eux aucune alternative n’est viable, ils ont désormais le monopole du modèle économique et politique. Dans les années 90 de nouveaux mouvements sociaux tels que les luttes écologiques, la lutte de sans papiers, contre la précarité etc. viennent s’ajouter à ceux déjà existants ; leur émergence va conduire l’État à instaurer de nouveaux processus de répression, il s’agit alors de criminaliser les mouvements sociaux. Dés lors c’est l’État et uniquement lui qui trace une ligne stricte concernant les modes d’expression et d’action, entre ce qui est autorisé et ce qui est criminel, entre ce qui ne le met pas en porte à faux et ce qui remet en cause sa bienfaisance.
Dans ce cadre la répression s’exerce globalement mais pas de la même manière. Le rôle de l’État concerne principalement le noyau dur de la violence du système, avec l’armée, la police et le fonctionnement judiciaire, qui restent toujours la réponse ultime de la légalité souveraine face aux revendications sociales, aux luttes et aux révoltes. Il concerne également le visage politique du régime lui-même ; la démocratie participative, les élections, les partis et le parlementarisme, le syndicalisme du « partenariat social », le citoyennisme, constituent des structures d’organisation de l’État, hiérarchiques et de médiation, qui sont répressifs et concurrencent chaque forme d’auto-organisation et d’émancipation.
Depuis les années 90, un consensus entre la droite et la gauche émerge pour engager des politiques sous l’angle de la sécurité. En adoptant le principe de tolérance zéro venu des États-Unis, en introduisant la politique du chiffre et avec l’appui fort des médias, l’État français a mené une politique de répression toujours plus accrue sous l’étendard de la « lutte contre l’insécurité ». Le sécuritaire légitimé par l’insécurité, légitimant tout le reste : quasi impunité des policiers, répression des libertés individuelles, surveillance à outrance, ghettoïsation, criminalisation de la misère, multiplication du fichage, et bientôt tatouage des populations…? Cette politique sécuritaire a une fonction idéologique de remplacement du vernis démocratique par un modèle où l’adhésion ne se fait plus sur l’illusion du caractère démocratique, mais sur l’illusion de la protection contre abdication de ses libertés comme de son pouvoir à l’état. Dans ce sens l’idée de la liberté est remplacée par celle de la sécurité ou selon L. Jospin « la sécurité est la première des libertés ».
Toutes ces tendances à l’œuvre depuis 25 ans nous ont menés à une situation où l’on voit la répression redevenir l’action systématique de l’État. Le masque démocratique semble tomber de plus en plus, avec des attaques idéologiques fortes comme par exemple autour du discours contre le « droit-de-l’hommisme » cher au Président de la République, qui ont pour fonction de faire sauter certains verrous issus de 1945, vécus aujourd’hui comme des contraintes tant par la capital que par l’État.
Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence, la criminalisation des mouvements sociaux s’est accrue. D’autre part nous sommes (officiellement) entrés en récession économique, ce qui apparaît comme un nouvel élément de déstabilisation du pouvoir. Toute les tendances observées avant s’accélèrent et se systématisent de telle sorte à ne laisser que très peu d’espace à la contestation et aux contestataires. Les mouvements lycéens et étudiants ont été réprimés de façon systématique afin d’en limiter la portée et le développement. Les interventions policières sont automatiquement lancées au moindre balbutiement, les forces de l’ordre suréquipées et en surnombre interviennent rapidement et violemment, sans sommation parfois même contre seulement moins d’une trentaine d’étudiants ou de lycéens. Les militant-es de syndicats, d’associations, d’organisations politiques et plus largement d’acteurs et d’actrices du mouvement social se retrouvent devant les tribunaux, en garde à vue, sous de faux prétextes. Et tout cela dans l’unique but de faire peur, de démobiliser les populations, d’épuiser les individus, pour les freiner ou leur faire lâcher prise. Le contrôle de l’État prend dans la pratique des proportions délirantes, il multiplie les zones de fichages, le matériel de surveillance, et maintenant remet en cause le droit de grève, le droit de manifester. Comme au contre sommet de l’OTAN ou lors de la semaine No border où les manifestants ont été parqués, provoqués, blessés, arrêtés et condamnés à de fortes peines sans preuves. Ou comme ailleurs où l’on poursuit des contestataires de façon systématique et arbitraire (Comme Yann, Pierre & tant d’autres), comme dans les villes qui dégagent la jeunesse ou les populations plus précaires et marginales qui occupent les places publiques au moyen de charges de CRS avec utilisation systématique de gaz, allant même jusqu’aux arrestations si les statistiques le permettent.
Face à ce vernis démocratique, notre force en tant qu’exploité-e-s et opprimé-e-s prend des racines aux moments de luttes et de résistance qui survivent et qui se développent dans la société. C’est en ce moment que sont testés les idées et les arguments libertaires et anarchistes, c’est là que nous devenons dangereux pour le Pouvoir.