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Industrie pharmaceutique : comment on peut la socialiser – Union Communiste Libertaire Montpellier
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Infos de l'UCL Montpellier

Industrie pharmaceutique : comment on peut la socialiser

15 mai 2020

C’est une filière indispensable pour produire, en grande quantité, des tests de dépistage et une molécule qui donnerait des résultats contre le virus. Elle l’est également, hors contexte d’épidémie, pour produire des vaccins et des médicaments contre les maladies chroniques par exemple. La laisser entre les mains d’intérêts privés, c’est aller vers de nouvelles catastrophes.

C’est parce que l’industrie pharmaceutique est soumise à la loi du profit que sa production a été délocalisée, notamment en Chine et Inde, afin de baisser les salaires et les conditions de contrôle sur les médicaments [1].

L’Inde fournit 20 % de la demande mondiale. Or l’État indien a décidé, après avoir décelé six cas de coronavirus, de restreindre l’exportation de 26 médicaments (antibios, paracétamol, un antiviral…) pour sécuriser son approvisionnement [2]. Les chaînes d’approvisionnement en médicaments ont ainsi été considérablement complexifiées, la doctrine libérale de gestion des stocks à flux tendu n’arrangeant rien.

Mais cela ne date pas de la pandémie. En une décennie, les ruptures de stock de médicaments en France ont été multipliées par 12 [3] : anti- infectieux, vaccins, traitements contre l’épilepsie ou Parkinson, anticancéreux, aujourd’hui craintes des malades chroniques dont les associations ont signé une tribune avec des scientifiques et des responsables CGT et Solidaires [4]. La relocalisation de la production de médicaments en France ou en Europe est aujourd’hui en débat. Mais tant que cette production restera soumise à la loi du profit, ça ne sera pas suffisant.

Les entreprises françaises chercheront à maximiser leurs profits par d’autres biais que les délocalisations : en se concentrant sur les médicaments qui rapportent, en gérant les stocks en flux tendu, en changeant les formules pour déposer de nouveaux brevets [5], ou en faisant du lobbying pour que ce soient les traitements les plus onéreux qui soient remboursés et donc prescrits [6]. D’ores et déjà, Sanofi tire parti de la crise en annonçant l’externalisation de 6 de ses 11 sites européens (soit plus de 1.000 salarié·es en France et 3.000 en Europe), soit-disant pour mieux lutter contre les pénuries, en réalité pour se débarrasser des sites produisant les médicaments les moins lucratifs [7].

Assoiffé de profit, le géant Sanofi enchaîne les plans de restructurations, notamment dans la recherche, où 2 500 postes ont été supprimés en dix ans. © Peter Sondermann

Ce que signifie contrôle populaire

Sortir cette industrie de la loi du marché en la socialisant est donc une question de santé publique. Socialiser, ça ne veut pas simplement dire la réquisitionner le temps de la crise : en effet, réorganiser une production largement délocalisée, ça ne va pas se faire du jour au lendemain.

Socialiser, ça ne veut pas dire nationaliser, au sens où l’État deviendrait actionnaire majoritaire voire unique, mais où l’on resterait dans le cadre de la concurrence capitaliste, en s’imaginant que l’État aux commandes, « ça sera moins pire ». On voit bien où peut nous conduire le cas d’Air France que le gouvernement envisage de renationaliser parce que la compagnie est en difficulté… en annonçant qu’il la revendra une fois la crise passée – et sans doute après y avoir injecté moult argent public, ce qui veut dire socialiser les pertes et privatiser les profits !

Socialiser, pour commencer ça veut dire exproprier les capitalistes qui possèdent les entreprises de la filière. Sans indemnités il va de soi. Ils ont suffisamment profité des bras et des cerveaux de leurs salarié·es, et vécu sur le dos de la Sécurité sociale. Mais socialiser, ça ne veut pas non plus dire une concurrence entre des entreprises autogérées, ce qui conduirait à coup sûr à des dérives similaires.

L’organisation du travail serait de la responsabilité des travailleurs, mais la finalité de la recherche et de la production serait sous contrôle populaire, par le biais d’une planification démocratique. La population, à travers ses représentant·es (mandaté·es révocables et/ou tirées au sort, représentant·es d’associations de malades) déciderait, en concertation avec la filière socialisée, des priorités de la recherche et de la production. Une caisse d’investissement financée par la cotisation sociale, sur le modèle de la Sécu, dégagerait cette filière de la loi du profit [8]. L’utilité de chaque métier [9], de chaque site et de son éventuelle reconversion écologique pourrait ainsi être questionnée.

Malgré le fait que Sanofi saborde son secteur recherche et a réalisé un bénéfice net de 2,8 milliards d’euros en 2019, le groupe touche 150 millions de Crédit impôt recherche par an. © Randy Monceaux

Ne pas s’en tenir à cette filière

Mais finalement, ce raisonnement, on peut l’appliquer à toutes les entreprises. Qu’on le veuille ou non, c’est indispensable. Toute l’économie est imbriquée : la pharmaceutique dépend de l’approvisionnement en matières premières [10], en machines, de la logistique, etc. Or la socialisation d’une partie de l’économie se solderait nécessairement par des mesures de rétorsion de la part des capitalistes : pénalités de l’Union Européenne ou barrières douanières, jusqu’à l’exemple d’un coup d’État comme au Chili en 1973. On pourrait imaginer le patronat des transports refusant de livrer les entreprises socialisées, ou bien celui la chimie refusant de livrer des consommables, en prétextant du désordre causé par la socialisation.

Mais cette imbrication est également internationale. Certains médicaments nécessitent une collaborations entre pays, notamment quand un petit nombre de malades est concerné. Il faudra donc pousser à la socialisation au-delà les frontières, et briser la dépendance commune aux intérêts privés.

Ne socialiser qu’une partie de l’économie n’est pas suffisamment cohérent. Mais dans le contexte d’une pandémie qui a ouvert les yeux à beaucoup de monde, on peut gagner une majorité d’idées sur la nécessité de socialiser le secteur de la santé et de l’industrie pharmaceutique. Un objectif intermédiaire avant d’aller vers la socialisation générale des moyens de production.

Grégoire (UCL Orléans)

© François Terrier

[1] Un tiers des médicaments produits en Inde sont non conformes (Le Monde, 11 janvier 2018).

[2] « Covid-19 : l’Inde restreint l’exportation de 26 médicaments et API », Industriepharma.fr, 3 mars 2020.

[3] « Coronavirus : la chaîne d’approvisionnement des médicaments remise en cause », RFI, 6 mars 2020.

[4] « Pénurie de médicaments vitaux, tests et équipements : l’appel des personnalités ! », à retrouver sur le blog Mediapart de Pauline Ondeix, 7 avril 2020.

[5] Comme cela s’est fait avec le Levothyrox en 2017, ce qui a conduit à une vague d’effets secondaires indésirables chez les malades.

[6] Simon Gouin, « Lobbying : comment l’industrie pharmaceutique prend d’assaut les institutions européennes », Bastamag.net, 24 mai 2019.

[7] « Le grand coup de bluff du groupe Sanofi », L’Humanité, 16 avril 2020.

[8] Sur ce point, et dans ce cadre – socialisation d’un secteur industriel particulier en dehors de la révolution globale de l’économie et de la société que prône l’UCL – nos idées peuvent rejoindre celles de Bernard Friot, « La cotisation, levier d’émancipation », Le Monde diplomatique, février 2012.

[9] On pense ici aux métiers parasites comme celui de représentant médical.

[10] C’est par exemple l’approvisionnement insuffisant en réactifs qui limite aujourd’hui la production de tests de dépistage. « Les “réactifs” au cœur du manque de tests », Libération, 29 mars 2020.

Par Sylvain Anticapitalisme Autogestion Économie Santé Partager :