Comme hier Hitler et Mussolini, pour ne citer que les plus tragiquement célèbres, le triste exemple étasunien vient de confirmer que le pire peut sortir des élections. Le multi-milliardaire Donald Trump, avec ses propos ouvertement racistes, sexistes, homo/lesbo/trans-phobes, anti-pauvres, anti-écologistes, a remporté la présidence de la première puissance mondiale.
On peut en conclure que les élections, parce qu’elles sont par essence un outil de délégation, entraînent presque mécaniquement de la passivité, des raisonnements simplistes et favorisent ainsi les façons de penser les plus sommaires et démagogiques : une prime est donnée aux candidat-e-s les plus populistes et réactionnaires. Mais cela n’explique que partiellement la victoire de Trump.
Trump, d’abord un candidat qui incarne le système
Contrairement au credo qu’il a pris, Trump est justement une incarnation du système de domination capitaliste, raciste et patriarcal qui existe aux U.S.A et dans lequel nous vivons aussi. Trump a intégré dans son discours sans complexe et sans nuance les valeurs de ce système qu’il défend. Sa victoire est l’expression de la bataille idéologique menée et gagnée par les tenants de ce système. Peut-être l’image de Trump, parce qu’elle est sans filtre, fait-elle mal à une partie de la bourgeoisie et des élites dirigeantes, mais c’est bel et bien leur reflet sans fard qui est renvoyé… D’ailleurs les marchés ne se sont pas affolés, et la surprise vite passée, le cours des affaires s’est poursuivi tranquillement.
On peut penser que la branche la plus libérale du capitalisme voit d’un très mauvais œil les discours protectionnistes de Trump. Pour autant, il peut exister un vrai décalage entre le discours et la réalité de sa gouvernance (souvenons-nous que les promesses des politicien-ne-s n’engagent que ceux et celles qui y croient) ; d’autre part le rôle du protectionnisme et de l’État varient beaucoup chez les libéraux, selon que les frontières permettent plus ou moins de profits, selon que l’État taxe plus ou moins les bénéfices ou qu’il permet de collectiviser à l’échelle d’un pays les investissements ou les dettes du secteur privé. On n’a pas beaucoup entendu les libéraux se plaindre de l’interventionnisme des États lorsque ceux-ci ont renfloué en 2008 à coups de milliards les caisses des banques pour les sauver de la faillite. Bref, si son élection inquiète une partie de la bourgeoisie, Trump ne remet pas en cause les fondements du capitalisme, bien au contraire !
Trump : le résultat d’une bataille idéologique menée par les capitalistes et l’État
Depuis des années, la classe dirigeante et les mass médias nous disent que le capitalisme est un horizon indépassable,après la (salutaire) chute du mur de Berlin et du régime soviétique, la fin de l’histoire a même été proclamée par une clique d’intellectuel-le-s aux ordres.
Depuis des années, patrons et gouvernants valorisent la réussite individuelle (« si à 50 ans tu n’as pas de Rolex, tu as raté ta vie »), vilipendent la solidarité, « l’assistanat » et culpabilisent les pauvres présenté-e-s comme les seul-e-s responsables de leur sort. C’est exactement le discours brut de décoffrage que sert Trump mais qu’ on entend partout.
Depuis des années, une bonne partie de la société résiste aux avancées en matière de droits obtenus par les luttes des mouvements féministes et LGBT : la violence des discours de Trump donne l’occasion aux franges les plus réactionnaires de la population et à ceux qui n’acceptent pas ces avancées de prendre leur revanche.
Depuis au moins le 11 septembre 2001, le pouvoir américain et, dans son sillage, ses allié-e-s, ont remis le choc des civilisations (Occident/Orient, chrétienté/monde musulman) au goût du jour. Trump, quand il a déclaré vouloir interdire le territoire des U.S.A aux musulman-e-s, n’a fait que reprendre cette logique en la poussant au bout.
Idem sur la question du racisme ; comme régulièrement le démontrent dramatiquement les meurtres de Noir-e-s par des policiers américains dans une quasi-impunité, le racisme est bien installé dans la société américaine. Trump a surfé sur la vague. Quant au mur que veut dresser Trump à la frontière mexicaine, il a scandalisé à raison des politicien-ne-s du monde entier et une grande partie de la presse ; mais beaucoup ont omis de dire que ce mur existe déjà, Trump voulant l’étendre à l’ensemble de la frontière. D’autres murs existent à travers le monde, et le renforcement de l’Europe forteresse est, en France aussi, un argument électoral, car partout le capitalisme et son lot de guerres, de misères, d’inégalités créent des déplacements de populations. Partout, le capitalisme agit non avec raison et humanité mais gère des flux de main d’œuvre. Partout État et capitalisme distillent le poison nationaliste et raciste pour monter les un-e-s contre les autres ceux et celles qui devraient partager les mêmes luttes, les mêmes intérêts de classe. L’hyper patriotisme affiché par Trump se situe dans cette lignée.
Trump ne prend aucun gant pour envoyer valser les préoccupations sur les changements climatiques et plus globalement les préoccupations environnementales. Il ne fait rien d’autre que défendre explicitement la logique du capitalisme et sa nécessité de croissance infinie. Ce que dit Trump, les capitalistes l’appliquent au quotidien partout dans le monde !
On pourrait développer avec le même angle des sujets tels que le sécuritaire, le pénitentiaire, etc.
Si Trump vous dégoûte, vous devez détester le capitalisme
En réalité, Trump est une caricature du pouvoir, malheureusement bien réelle.
Nous pensons en tant qu’anarchistes que les différents systèmes de domination capitalistes, racistes et patriarcaux se nourrissent et se renforcent mutuellement, c’est pour cela qu’à notre sens, il faut les combattre tous. Trump et sa clique ont certainement la même analyse que nous mais concluent qu’ils doivent les défendre âprement.
Trump cumule sur tous les sujets ce qui se fait de pire en terme de gestion capitaliste, mais il reste dans la logique du capitalisme. Comme partout ceux et celles qui nous gouvernent le sont,et c’est bien avec cette logique que nous devons rompre.
L’alternance : la règle de l’électoralisme
Au-delà de la vision idéologique, des valeurs du pouvoir qui ont infusé ces dernières années dans les sociétés occidentales, il peut paraître incroyable que beaucoup de citoyen-ne-s américain-e-s aient voté pour lui. Cet homme d’affaire, milliardaire héritier de milliardaire, complètement intégré au système politique et économique de son pays depuis des décennies (il était déjà soutien de Georges Bush père) est parvenu, c’est un comble, à se faire passer pour le candidat anti-système. Ceux et celles qui auraient tendance à tomber dans l’anti-américanisme doivent avoir en tête que c’est aussi le cas d’un Sarkozy, d’un-e Le Pen et maintenant d’un Fillon en France, d’un Berlusconi en Italie pour ne prendre que des cas géographiquement proches.
L’électoralisme provoque ces phénomènes. Il maintient l’illusion que c’est en abandonnant sans contrôle son pouvoir à un individu que les choses pourront s’améliorer ; or sans lutte, sans confrontation sur le terrain économique et social, il ne peut y avoir de réelles modifications positives de nos conditions de vie.
Depuis tout petit, on nous inculque pourtant cette règle du jeu. Si on la suit, elle nous est dit que c’est en votant que viendra la solution, on essaie alors un coup à droite, un coup à gauche, un coup à droite, un coup à gauche… Comme ça ne marche toujours pas, alors, surtout en période de régression sociale et de scandales financiers inondant une bonne partie de la classe politique, on essaie les autres, donc l’extrême droite… C’est ce qui arrive lorsque la résistance sur le terrain social marque le pas et n’offre pas de perspectives immédiates.
Lutter et faire de la politique en abandonnant le terrain électoraliste
Pour réellement changer les choses, nous devons changer de curseur et rompre avec l’électoralisme. Notre discours ne doit pas être pris à moitié ; nous disons qu’il faut déserter les urnes ET investir le terrain des luttes sociales. Il faut nous organiser sans rien attendre du haut, créer des systèmes autogérés, non hiérarchiques partant de nos besoins. Pour faire face à la crise, reprendre le terrain des luttes est nécessaire pour s’opposer à toutes les mesures d’austérité et régressions sociales, tout comme organiser une solidarité interprofessionnelle pour faire face aux attaques du patronat. Au quotidien, dans nos quartiers, sur nos espaces de vie et de travail,des réflexes d’entraide sont possibles.
Face aux menaces écologiques, à la crise économique et sociale, aux guerres, l’enjeu est de rompre avec le capitalisme et de s’auto-organiser dans la société. Les élections ne répondent pas à cet enjeu. Nous pensons même que participer aux élections empêche de penser et vivre un changement de société. Pour nous, la seule voie à suivre est celle du développement des luttes et de leurs convergences, loin des isoloirs. Il n’y a rien à attendre d’une hypothétique recomposition à gauche dès lors qu’elle s’inscrit sur le plan électoral.
A nous de faire que les luttes du monde du travail, pour des augmentations de salaires, contre la précarité ou les licenciements rejoignent les luttes des sans-emploi, des mal logé‑e‑s, des migrant‑e‑s, des sans-papiers, nous amènent à une remise en question de l’organisation du travail et de la société actuelle. Que les luttes contre les mesures et lois sécuritaires s’inscrivent en lien avec le combat contre les discriminations sociales et raciales, les violences faites aux femmes et les préoccupations des quartiers populaires. Et bien sûr, à nous de faire que toutes ces luttes se fédèrent ensemble pour faire émerger un nouveau rapport de force social mais aussi un projet de société émancipateur, égalitaire et libertaire. Sans quoi, à l’image de Trump, les projets les plus réactionnaires vont l’emporter. C’est aussi pour éviter cela ou y faire face, qu’il y a urgence à se bouger et s’organiser.
Le groupe Un Autre Futur de la Coordination des Groupes Anarchistes