Au tournant de l’élection présidentielle de mai 2012, l’actualité sociale a été marquée par le démarrage d’une vague de plans sociaux. Menace de fermeture de site comme à PSA, de liquidation comme à Florange, et annonce de plans sociaux massifs dans de nombreux groupes industriels comme à Sanofi ou Air France. Ici et là, des salariés s’organisent contre ces licenciements qui deviennent les symboles de l’augmentation continue du chômage en France depuis des mois. Nous avons voulu donner la parole à un syndicaliste du site de Montpellier de Sanofi pour témoigner de l’état de la lutte aujourd’hui et rendre compte de sa réalité comme de ses difficultés, dans une période où les luttes sociales peinent encore à se développer autant que la situation économique et sociale le nécessiterait. L’interview qui suit, réalisée fin octobre, se veut donc une photographie à un moment donné d’un fragment des conflits sociaux qui ont cours aujourd’hui.
CGA : Bonjour, Éric, nous sommes sur le site de l’entreprise de Sanofi à Montpellier, et tu es militant syndical à Sud pour Sanofi depuis un certain nombre d’années, et également élu au Comité d’entreprise sur l’unité de Montpellier. Les Sanofi, à Montpellier comme dans d’autres villes, sont en lutte depuis plusieurs mois suite aux annonces d’un plan de licenciements de l’entreprise. Pourrais-tu, dans un premier temps, nous présenter le groupe Sanofi, ce qu’il représente en termes de structure, de nombre de salarié-e-s, d’activités ?
Éric : Sanofi existe depuis 1972. Cette entreprise a été créée par deux personnes de chez Total qui voulaient rentrer dans le secteur pharmaceutique pour se diversifier. Aujourd’hui, le groupe Sanofi comprend des sites de recherche et développement, mais aussi de chimie, de production, et une entité à part pour les vaccins. La fonction support administrative est gérée par Sanofi-Aventis Groupe.
Jusqu’en 2009, l’entreprise a grossi en procédant par de nombreuses acquisitions et fusions. Le groupe ne licenciait jamais ; il ne se séparait pas du personnel qu’il avait racheté. En 2009, il y a eu un changement de directeur, avec le départ de Jean-François Dehecq, l’un des fondateurs, qui fut remplacé par monsieur Viehbacher. À ce moment-là, la direction a changé de politique.
Viehbacher a annoncé qu’il fallait économiser deux milliards d’euros sur deux ans, en 2009-2010. Ce qu’il a très bien réussi, en effectuant de nombreux départs. A l’époque, il s’agissait de mesures d’âge, de départs volontaires. En 2011, il a de nouveau attaqué, cette fois-ci avec un plan de fermetures européen, voire plus large, puisqu’il a également fermé Bridgewater aux États-Unis. A ce moment-là, les sites de Milan, Budapest, ainsi qu’une usine en Espagne ont été fermés, le site de Francfort restructuré. Toute l’Europe a été touchée, mais pas la France.
Mais le 5 juillet, Viehbacher a annoncé qu’il s’attaquait au secteur de la recherche en France. Dans sa présentation, il a dit vouloir se désengager du site de Toulouse, pour respecter ses termes. Il n’a donné aucune précision, alors que 614 salarié-e-s travaillent sur ce site. Et sur le site de Montpellier, qui comprend un secteur recherche et un secteur développement, il décidait de supprimer toute la partie recherche. Sur le site de Montpellier, 250 salarié-e-s seraient concernés, sur un effectif de 1100 aujourd’hui. À la suite de cette annonce, à partir du mois de juillet, une mobilisation s’est mise en place, notamment à Toulouse, où il a été décidé d’une mobilisation hebdomadaire, « les jeudis de la colère ». Il s’est mis en place assez rapidement la même chose sur Montpellier pour essayer de faire de la communication vers l’extérieur, informer les gens, informer les élus locaux, régionaux, etc. pour les sensibiliser à ce que pouvait engendrer la fermeture d’un site entier ou, pour Montpellier, de la partie recherche.
CGA : Lorsque Sanofi, comme beaucoup d’autres groupes, a lancé sa politique de restructuration, avec pour objectif de baisser le nombre d’emplois et donc la masse salariale pour augmenter les bénéfices, tu disais qu’il avait attaqué dans différents pays européens. Est-ce qu’il y a eu des actions concertées des organisations syndicales à l’échelle européenne ? Dans cette période là, comme c’était malheureusement le cas dans beaucoup d’autres grands groupes, chacun s’est mobilisé en ordre dispersé et chacun à son tour, ou bien il y a-t-il eu au moins des prises de contacts, des échanges entre les différents pays pour renforcer les liens entre les salarié-e-s ?
Éric : A cette époque là, il n’y a pas eu d’appel intersyndical, car les grosses organisations syndicales qui sont présentes dans les différents pays n’ont pas fait d’appel. Il y a eu des appels locaux et quelques arrêts de travail en solidarité, mais pas de réel mouvement pour essayer de contrecarrer les projets de restructuration. Cela a manqué. À Sud, nous ne sommes pas représentés dans tous les pays touchés. Lors de la création de Sud à Sanofi, on avait contacté des syndicats allemands. Mais ils ont une manière particulière de travailler, puisqu’ils fonctionnent en syndicat unitaire par branche, et nous n’avons pas poursuivi de travail en commun. En 2011, quand ils ont fait beaucoup d’annonces de fermetures de sites, il n’y a donc pas eu de grosses manifestations en France, mais seulement des appels de sections syndicales sur certains sites. La mobilisation n’était pas unanime.
CGA : Pour ce qui est de la France, dans les annonces de suppressions d’emplois qui ont été faites cet été, les deux sites les plus impactés sont ceux de Toulouse et de Montpellier. Pour Montpellier, puisque c’est la partie recherche qui est touchée, est-ce que cela signifie que les emplois supprimés ne sont que des emplois de chercheurs ou cela va au-delà, c’est-à-dire qu’il y a des personnels administratifs associés, du personnel technique ou ouvrier qui est également touché ? Sur Toulouse, vu que le site en entier est menacé de fermer, tout type de personnel est-il concerné ?
Éric : A Toulouse, effectivement, tout type de personnel est touché, il y a des chercheurs, des administratifs. Pour ce qui est de la fonction support administrative, qui comprend les achats, les payes, la finance, etc., administrativement, elle était déjà rattachée à Sanofi-Aventis Groupe. Jusqu’à maintenant, on avait défendu les emplois sur site, donc ils n’avaient pas été déplacés, mais juridiquement ils étaient déjà rattachés à des sites parisiens. Le secteur informatique avait déjà été complètement démantelé, et il ne reste qu’une trentaine de personnes, qui étaient également déjà rattachées à Sanofi-Aventis Groupe. Pour certains-es de ces salarié-e-s, la direction va leur proposer une mutation sur Paris. Mais ils vont en profiter pour faire du tri dans le personnel. Sur Montpellier, ce sont effectivement les chercheurs qui sont touchés, ainsi que les mêmes fonctions support qu’à Toulouse. Ces derniers auront aussi des propositions pour aller sur Paris ou sur Lyon.
Depuis ces annonces, l’intersyndicale s’est mobilisée et reste unie pour l’instant. On fait tout pour ça, car ce qui nous a pénalisés dans le temps lors de grosses négociations, c’est le fait qu’un syndicat cède à un moment donné.
CGA : Est-ce que la proposition de mutation dont vous avez parlé concerne tout le personnel ?
Éric : Dans le projet de restructuration remis par la direction, nous n’avons que des chiffres. On nous a uniquement transmis des organigrammes, un avec la situation au 30 juin 2012, et l’autre avec celle qu’ils souhaitent pour le premier janvier 2013. On voit qu’il y a des postes qui disparaissent, mais ce n’est qu’une idée quantitative. On n’a aucun nom, aucune fonction. On sait qu’il y a tant de cadres et tant de techniciens, mais on ne sait pas ni lesquels ni comment. Alors il y a beaucoup d’endroits où on a du mal à savoir qui va être touché ou muté.
Dans certains secteurs où il n’y a qu’une partie du personnel qui est impactée, cela permet de freiner la mobilisation, parce que, ne sachant pas qui va être ciblé, certain-e-s n’osent pas trop bouger. Le manque d’information sur les départs, les mutations, est donc aussi l’une des stratégies de la direction pour calmer la moitié du personnel qui peut espérer ne pas être concernée, et ainsi éviter que la mobilisation ne prenne trop d’ampleur. Quand c’est le secteur complet qui disparaît, là il n’y a pas de problème, tout le monde se mobilise.
CGA : Quels sont les arguments que le groupe Sanofi met en avant pour justifier l’ensemble de ces suppressions d’emploi ?
Éric : Quand on écoute la direction, c’est le manque de résultats. On ne trouve pas, ça coûte trop cher de faire de la recherche. Tous les grands laboratoires arrêtent de faire leur recherche en interne. Tout le monde fait du partenariat avec les établissements publics. C’est vrai que c’est intéressant de faire faire des recherches par l’Inserm, par le CNRS, ça coûte beaucoup moins cher. Surtout si après c’est Sanofi qui prend les Royalties, une fois que le médicament sera déposé. Ils ne parlent que de baisse des coûts, des réductions de la dépense du groupe, ce sont vraiment leurs objectifs.
Notre directeur a promis à ses actionnaires d’augmenter les dividendes de 35 à 50% des bénéfices d’ici 2014. Pour leur donner 15% de plus, il faut bien qu’il fasse des économies, et donc il supprime du personnel. Mais cette stratégie ne peut marcher qu’un temps. Je pense que d’ici quelques années, quand il n’y aura plus de personnel, il n’y aura plus beaucoup de bénéfices non plus. En effet, les droits de propriété sur les médicaments durent dix ans, mais après, ces médicaments deviennent des génériques et rapportent beaucoup moins.
CGA : La stratégie du groupe est donc une forme d’externalisation de la partie recherche pour augmenter les bénéfices qui peuvent être générés, à court terme en tout cas.
Éric : Oui, c’est bien ça. Leur volonté est d’accroître les bénéfices très rapidement, sans s’occuper de l’avenir de la société. De toute façon, Viehbacher n’a pas l’intention de rester vingt-cinq ans à la direction de Sanofi, puisqu’il a déjà négocié son parachute de sortie avant son arrivée. Il va seulement piller le capital de la société, et après, il ira voir dans une autre ce qu’il peut récupérer. Contrairement à la mentalité de monsieur Dehecq qui avait créé ce groupe et qui l’a fait monter en puissance jusque dans les premières places des laboratoires mondiaux, lui ce n’est pas du tout son objectif. L’unique chose qui l’intéresse est d’être le premier au CAC 40, et il y est presque, juste derrière Total. Et encore, un jour sur deux, c’est Sanofi le premier. Mais c’est vraiment du court terme. Bientôt il va annoncer qu’il n’aura plus rien à faire développer, puisque l’on aura supprimé la recherche. Donc dans trois ans, il s’attaquera au développement, et puis après, quand il n’y aura plus de recherche ni de développement, ce sera la production qui sera attaquée. En effet, tous les produits fabriqués par Sanofi seront des génériques, et d’autres fabriqueront moins cher que nous. Donc les sites de chimie et les sites de production peuvent s’attendre à subir les mêmes plans de restructuration ou de suppression dans un avenir proche.
Je crois que les travailleurs du groupe commencent vraiment à prendre conscience de l’ampleur du mécanisme que la direction a mis en place. D’ici 10 ans, 15 ans, il risque de ne plus y avoir de Sanofi en France.
CGA : Cette politique de fonctionnement des entreprises n’est pas particulière à Sanofi, et est menée dans d’autres secteurs actuellement. Est-ce qu’il y a des contacts avec toutes les autres entreprises qui sont dans cette situation ? Est-ce que vous cherchez à fédérer les luttes ? D’autre part, tu as parlé de l’intention que la direction avait de sous-traiter la recherche au CNRS. A la dernière manifestation, une personne du CNRS était intervenue pour expliquer qu’ils allaient être dans le même cas dans quelque temps. Est-ce que vous avez des contacts avec la recherche publique ? Il y a-t-il quelque chose qui se construit au niveau de la lutte ?
Éric : Sur Montpellier, avant la manif du 11 octobre, nous avons rencontré le personnel de la recherche publique. On a distribué ensemble des tracts appelant à cette manifestation commune dans les universités, Montpellier 1, Montpellier 2, et dans les différents établissements de recherche publique, à l’Inserm, au CNRS, à l’INRA. Des gens de Sanofi ont participé à la soirée-débat qu’ils organisaient sur la recherche, et à laquelle ils nous avaient invités. Je pense qu’un travail commun est en train de se mettre en place.
Avec les autres sociétés, sur Montpellier, il ne me semble pas qu’on ait de contacts, mais je ne crois pas qu’il y ait de plans sociaux très importants ici. Par contre, à Toulouse, les Sanofi sont régulièrement soutenus lors de leurs mobilisations par des salarié-e-s de l’aérospatial, et ceux des quelques sociétés qui connaissent en ce moment les mêmes problèmes. Par exemple, les Airbus ne subissent pas le Transforming, mais le Transform, qui consiste en fait exactement dans le même type de plan.
Quand on était à Lyon jeudi dernier, des gens d’autres laboratoires pharmaceutiques sont venus, comme ceux de GSK. Eux aussi vont subir des plans semblables. Car parmi les quatorze grands laboratoires existant dans le monde, il y en a sept aujourd’hui qui suivent la même politique, c’est-à-dire ne plus faire de recherche en interne, mais la sous-traiter.
La lutte commence donc à se fédérer. A Solidaires, on essaie de regrouper les contacts que l’on a chez Ford, Arcelor-Mittal, PSA, Electrolux… Comme les plans de licenciements touchent toutes les professions, il faudrait mutualiser les informations et essayer d’organiser une grosse manifestation nationale pour aller porter tous ensemble des revendications au gouvernement.
Régionalement, on a eu des vœux de la mairie de Montpellier, ceux de l’agglo, du conseil régional, et de toutes les différentes structures politiques qui se sont prononcées contre ce plan de licenciement. Ils nous soutiennent moralement, mais ça ne suffit pas. On a rencontré Montebourg, mais il change de discours à chaque fois, et maintenant déclare qu’il ne peut plus rien faire. On a encore des rendez-vous, dont un avec le Sénat. Mais les politiques sont gentils, ils nous reçoivent, ils nous écoutent, ils nous laissent parler, mais il n’y a pas d’action derrière. Pour que cela change, je crois qu’il va falloir maintenant que l’on passe à la taille au-dessus.
CGA : Lorsque la boîte a fait des annonces au mois de juillet sans en donner le contenu intégral, il devait y avoir une très forte inquiétude des salarié-e-s, au moins sur les sites de Toulouse et Montpellier. Comment la mobilisation a démarré ? Le mouvement est-il parti spontanément, ou bien l’intersyndicale, ou telle organisation syndicale, a pris les devants ? Comment les sites se sont organisés ? Comment les salarié-e-s se sont-ils/elles approprié-e-s la lutte ?
Éric : Il faudrait que vous en discutiez avec Toulouse, car c’est de là que le mouvement est parti. L’appel a été directement lancé par l’intersyndicale, car, face à une annonce d’une telle ampleur, il n’y a plus de divisions entre les syndicats. Les salarié-e-s ont immédiatement mis une grosse pression, et surtout font preuve d’une volonté très forte de marquer les esprits par leur slogans et leur fameux haka. Les différents slogans, les affiches, c’est vraiment le fruit du travail et de l’imagination des salarié-e-s. Il y a des termes et des symboles que n’oserait pas mettre une intersyndicale.
Sur Montpellier, l’intersyndicale a démarré assez vite, mais peut-être un peu plus timidement. Lorsque nous sommes partis manifester à Toulouse avec deux ou trois bus, nous avons vu leur équipement, leurs carnets de chansons, leur organisation, les stands avec des boissons, des autocollants, tout ce qu’il fallait pour faire le guide du parfait manifestant. Nous avons pris une très bonne leçon de manifestation, et cela a été très formateur pour les 150 salarié-e-s de Montpellier.
Je pense qu’il y a une grosse part des salarié-e-s qui se sentent vraiment concerné-e-s et qui se rendent compte que les syndicats tout seuls ne pèsent pas lourd face à une direction qui se fout du code du travail, du droit et qui possède une armée d’avocats.
Aujourd’hui, la direction passe au tribunal parce que le CCE a déposé un référé pour vice de forme dans la procédure. Les dirigeants ne respectent rien, ils essaient de passer en force. D’ailleurs, ils ne comprennent même pas qu’on ne se laisse pas faire. Aux États-Unis, ils disent simplement, demain, il y en a 500 de moins. La dernière fois, ils ont annoncé les licenciements par répondeur téléphonique. Les gens ont reçu un mail, avec un numéro qu’ils devaient appeler, et un répondeur leur disait « vous êtes virés à telle date ».
Heureusement, nous avons maintenant nous aussi des avocats, même si on n’en a pas autant qu’eux. Donc en ce moment ils doivent passer au tribunal d’Evry, et on espère au moins que le tribunal exige une nouvelle copie conforme, pour qu’on puisse discuter sur des bases solides.
CGA : Sur le site de Montpellier, y a-t-il des assemblées générales, des formes de structuration permettant aux salarié-e-s impliqué-e-s dans la lutte d’avoir des espaces pour échanger entre eux, discuter des stratégies, des actions, et prendre des décisions collectives ?
Éric : On leur met à disposition tous nos locaux. Quand les syndicalistes ne sont pas là, lorsqu’il y a des manifs dans d’autres villes à Toulouse, à Paris, à Lyon, les salarié-e-s qui restent sur place organisent des petits mouvements à l’entrée des sites, avec des distributions aux automobilistes de tracts et de prospectus pour les informer, ou alors ils préparent les prochaines manifestations avec le matériel que l’on met à disposition, des supports, des autocollants, des pancartes, des blouses.
CGA : Il y a donc une participation effective des salarié-e-s, mais à l’initiative réelle des militants des organisations syndicales, au moins sur le site de Montpellier, puisque le mouvement a pris une autre ampleur à Toulouse. Sur le site de Montpellier, pour le moment, il n’y a pas d’espaces comme des assemblées générales décisionnelles ou des choses de cette nature là, en l’état de la lutte aujourd’hui ?
Éric : On fait des assemblées décisionnelles principalement avant les mouvements. Par exemple, quand on parle du prochain déplacement, on essaie de recenser l’effectif pour le train ou le bus. Ensuite, une fois arrêtés la date et le nombre de participants, c’est soumis au vote. Si les gens sont d’accord, on commence le travail logistique. On demande aux personnes de s’inscrire, on récupère des sous. Une petite participation est demandée à ceux qui se déplacent et des quêtes sont faites vers ceux qui ne peuvent pas se déplacer mais qui veulent participer financièrement. Jusqu’à maintenant, ils sont très généreux, et leur participation finance bien le déplacement des autres.
CGA : Aujourd’hui, les revendications principales qui sont communes s’expriment précisément sur le refus du plan de licenciement social ? Qu’est-ce qui fédère les différents sites et corps de métier qui sont concernés par le plan de licenciement aujourd’hui ?
Éric : Toute la partie recherche demande le retrait pur et simple du plan. La direction le présente comme un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE). Quand on fait comme l’année dernière 8,8 milliards de bénéfices, la sauvegarde de l’emploi par les restructurations, on peut peut-être faire autrement. Nous ne sommes pas contre qu’ils veuillent financer les départs à 55 ans, comme lors du premier plan de restructuration. Mais il faut remplacer les gens qui partent, justement, avec des jeunes, cela amènerait des innovations. De plus, il faut qu’il y ait un transfert du savoir. La dernière fois, les gens sont partis en quinze jours ou un mois. Aujourd’hui, on renvoie des gens en formation apprendre ce que faisaient ceux qui sont partis il y a trois ans, parce qu’il y a des secteurs complets qui sont partis, et que plus personne dans la société n’est capable de faire ce qu’ils faisaient auparavant. C’est quand même un peu triste. Donc un transfert du savoir, des départs progressifs, avec des formations des jeunes, on n’est pas contre.
CGA : Aujourd’hui, quelles sont les suites envisagées ? Il y a eu plusieurs manifestations, à Toulouse, à Montpellier, la semaine dernière à Lyon, quels sont pour vous les perspectives et les moments un peu clés dans les semaines à venir ?
Éric : Pour le moment, on attend le résultat du référé déposé par le CCE.
CGA : Il s’agit d’une demande d’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi présenté par le groupe ?
Éric : Oui. Donc si le tribunal nous donne raison, ça va nous permettre de gagner un peu de temps. On envisagera les suites en fonction de sa décision. Il peut décider que la copie n’est pas bonne et qu’il faut la refaire, ou décider qu’il ne peut s’agir d’un PSE, car justifier le licenciement de 15% de l’effectif est impossible avec les résultats qu’ils ont aujourd’hui.
CGA : part le fait de les mettre en justice pour les erreurs qu’ils peuvent faire au niveau procédure, est-ce que vous pensez que la lutte de tous les jeudis est suffisante pour faire changer d’avis la direction ? Et est-ce que vous n’envisagez pas un durcissement de la lutte d’une manière quelconque ?
Éric : C’est difficile à dire à l’heure actuelle. Il y a quelques années, on avait réussi à faire une grève pendant 10 jours consécutifs. Actuellement, je crois qu’une mobilisation à plein temps pour l’ensemble du personnel serait difficile à mettre en place. Même à Toulouse, on sent qu’ils s’essoufflent.
La suite dépend aussi des prochaines décisions et annonces de la direction. Mais pour elle, vu la taille du groupe, on ne représente pas grand chose. Il y a aujourd’hui plus de 100 mille personnes qui travaillent pour Sanofi dans le monde. Quand on leur parle de 600 à Toulouse et de 200 et quelques à Montpellier, ça leur paraît minime, et c’est d’autant plus difficile de les faire reculer.
CGA : Tu expliquais qu’ils s’attaquent aujourd’hui à la recherche, que demain ce sera le développement, et après-demain la production. Est-ce que par rapport à ça, il y a une conscience qui s’éveille dans d’autres sites qui ne sont pas obligatoirement impactés par le plan social que propose Sanofi aujourd’hui. Et est-ce qu’en dehors des sites directement touchés par ce plan là, il y a des bouts ou des semblants de mobilisation, ou au moins le soutien à la mobilisation, au moins en France, voire à l’étranger ?
Éric : Pour la dernière grève de jeudi dernier, effectivement, comme il y avait eu un tract intersyndical au niveau du groupe cette fois-ci, il y a eu des mouvements de manifestation en soutien. Il y avait deux cents personnes à Chilly-Mazarin, qui est le siège social, et également du monde à Vitry-Alfortville, qui est un petit site de production près de Paris aussi.
Il y a eu des mobilisations à Sisteron, à Aramon, qui sont des sites de chimie, et il y avait des travailleurs de la production qui se sont également mobilisés, notamment à Ambarès.
Je pense qu’il y a vraiment maintenant une prise de conscience au niveau du groupe en France du processus et des larges menaces de fermeture dans tous les secteurs. A l’échelle européenne, c’est plus compliqué à dire, car il y a un réel manque de transmission d’informations.
Les salarié-e-s de Sanofi Pasteur, le secteur des vaccins, ont également eu des annonces en septembre. Même un pôle aussi important que celui-ci risque d’être fermé en France, parce que les coûts de production sont moindres dans d’autres pays.
CGA : La lutte sur les deux sites de Montpellier et Toulouse a donc aussi servi à déclencher une prise de conscience plus large, qui a entraîné quelques autres mouvements de mobilisation dans l’entreprise. Par ailleurs, avez-vous réussi à informer la population de ce qui est en train de se passer sur les différents sites ? Est-ce qu’il y a une recherche volontaire du soutien de l’ensemble de la société ? Si oui, avez-vous eu des réponses positives, du soutien ? Avez-vous dans vos objectifs d’avoir plus de personnes dans vos manifestations, d’avoir un soutien populaire ?
Éric : On a l’impression que le message passe bien. Lors des manifs, le public trouve ça scandaleux, au moins autant que nous sinon plus, qu’une société qui fait des milliards de bénéfices se permette de supprimer des emplois. Car la direction n’utilise jamais le terme de licenciement, mais de suppressions d’emplois. On a donc le soutien de la population, mais de là à la mobiliser, ça va être beaucoup plus difficile.
Je crois savoir qu’il est prévu au mois de novembre une assez grosse manifestation au niveau européen. Là il est certain qu’on y participera et qu’on essayera de nouer des contacts avec le maximum d’autres personnes.
En ce qui concerne le secteur scientifique sur Montpellier, comme sur Toulouse d’ailleurs, les écoles, les laboratoires sont solidaires avec nous et ont adressé des courriers à la direction. L’Inserm ou le CNRS font beaucoup de partenariats avec Sanofi, et quand on travaille sur une étude ensemble, Sanofi leur apporte de l’argent. Si demain, il n’y a plus de recherche à Montpellier, les établissements publics de recherche peuvent se faire du souci, parce que ce n’est pas l’État qui va financer toute leur recherche. Je ne connais pas toute la stratégie de la société, peut-être qu’ils feront des partenariats à distance, mais, puisqu’ils nous présentent le fait de vouloir supprimer Toulouse et Montpellier pour tout regrouper sur Lyon et Paris, cela serait étonnant qu’ils financent le CNRS ou l’Inserm à Montpellier ou à Toulouse.
CGA : Comment les salarié-e-s vivent la rencontre avec la réalité des élus politiques ? Tout à l’heure, tu nous disais que vous aviez vu Montebourg quatre ou cinq fois, et que vous aviez eu quatre à cinq discours différents. De la même façon, tu nous disais que les structures intermédiaires où le Parti Socialiste est aux commandes vous font des vœux et des promesses, mais qu’en même temps le gouvernement, qui est lui-même dirigé par le Parti Socialiste, vous tient des discours différents qui sembleraient donner un autre son de cloche. Quelle est la perception que les organisations syndicales, et aussi les salarié-e-s, peuvent avoir par rapport à ça ? Est-ce que les gens sont lucides sur les façons dont les uns et les autres peuvent se comporter, ou est-ce que il y a une telle désespérance que les gens sont accrochés au moindre soutien, qu’il soit sincère ou pas ? Comment abordez-vous collectivement ces questions ?
Éric :alors, je pense qu’au début, l’intersyndicale comme les salarié-e-s fondaient beaucoup d’espoir sur le fait qu’il y ait des soutiens politiques. Seulement, on voit qu’il n’en découle rien, à part les portes ouvertes pour aller où l’on veut et être très bien reçus. Les politiques sont très gentils avec nous, mais j’ai l’impression qu’ils nous endormiront tous. On parle, et à la fin, quand on a fini de parler, ils ferment le dossier. Au niveau de l’intersyndicale en tout cas, on commence à le percevoir de cette façon là, et il me semble que les salarié-e-s également, même s’il subsiste un espoir.
Après avoir fait la mairie de Montpellier, le Conseil régional, toutes les structures de Montpellier, on a commencé depuis trois semaines à aller dans les communes sur lesquelles des salarié-e-s habitent. Dans les petites communes et village, quand on regarde le nombre de salarié-e-s de Sanofi, ça commence à avoir un certain impact. Les petites communes commencent donc à faire des vœux aussi, et on est particulièrement attentifs à ce qu’il y ait un vote à l’unanimité.
CGA : En considérant que les espoirs fondés sur l’action des politiques sont limités, et du rapport entre ce que font et disent les politiques, au vu aussi du fait que les recours juridiques restent assez aléatoires, du coup vous, les salarié-e-s et/ou l’intersyndicale, où fondez-vous votre espoir de réussite en termes de mobilisation et de revendications ? Quelles sont les perspectives que vous vous donnez, quels sont les objectifs ?
Éric : La grosse inconnue va être la décision du tribunal. S’ils donnent raison à l’intersyndicale en disant qu’il y a un vice de forme, ça nous laissera un peu de délai. Après, je ne sais pas comment va réagir la direction, car elle est vraiment très spéciale. Pour l’instant, nous faisons tout pour arrêter leur procédure. Il y a un rendez-vous le 8 novembre au Sénat. On essaie encore d’accentuer la pression sur les politiques, de leur dire que c’est bien beau de déclarer que le changement c’est maintenant, mais qu’il va falloir que cela change vraiment.
Si ça ne suffit pas, on espère qu’on arrivera à se réunir avec tous les autres groupes qui ont les mêmes problèmes que nous, pour effectuer une démarche commune dans le but d’influer sur les politiques et tous ceux qui les entourent. Car même pour les politiques, les 600 ou 800 de Sanofi ne doivent pas représenter grand chose à eux tout seuls… Chez Peugeot, Ford, ils sont beaucoup plus nombreux.
CGA : par rapport au tribunal, quelle que soit sa décision, cela ne fait que repousser le problème ? Cela n’enlèvera en rien, il me semble, aux licenciements et fermetures du groupe ?
Éric : Notre demande est le retrait total du plan en argumentant qu’il n’est pas justifié. Parce qu’un Plan de Sauvegarde de l’Emploi avec les bénéfices de l’entreprise, on ne comprend même pas que cela puisse s’appeler comme ça. Il y a eu une décision de justice sur un autre laboratoire, où les salariés dénonçaient également la mise en place d’un PSE alors que l’entreprise faisait des milliards de bénéfice, et la justice leur a donné raison. La boîte n’a pas complètement perdu parce qu’entre temps, il y a toujours des suppressions de postes déguisés en départs volontaires.
Actuellement, on avance au coup par coup. Parmi la direction, il y a des interlocuteurs qu’on a du mal à avoir. Ou bien, quand on leur pose les bonnes questions, ils ont l’air de ne pas comprendre. Pour les anglophones, quand les questions sont gênantes, ils n’ont pas de traducteurs.
Aujourd’hui, on fait tout en douceur, mais peut-être qu’il faudra durcir un peu. Les cadres se plaignaient au début parce qu’on avait mis des affiches un peu partout, des slogans. Ils disaient « ce n’est pas bien, ce n’est pas normal, cela gène des personnes ». Je leur avais répondu que ce n’était que des Post-it ou des affiches collés sur des vitres. On a plein de chimistes de partout, on pourrait aussi utiliser la chimie comme moyen de revendication. Et là, cela risquerait de faire un peu plus de bruit et de fumée.
Alors, je ne sais pas comment la direction va agir, mais je pense que, de notre côté, nous avons encore de la marge pour durcir. On a des stocks suffisamment importants. C’est malheureux d’en arriver là, mais on est quelques uns à penser que si l’on doit partir, on partira, mais ils ne garderont peut-être pas tous les murs.
CGA : Au delà de la décision de justice, pour les Sanofi, comme pour de nombreux salarié-e-s qui sont dans des entreprises où il y a des Plans de Sauvegarde de l’Emploi, terme très orwellien, l’enjeu semble d’augmenter le rapport de force. On pressent que sont à l’œuvre les mêmes logiques qu’il y a quelques années en arrière, quand le groupe a démantelé d’abord tel site, puis tel autre. Le risque semble de se mobiliser en ordre dispersé et de ne pas peser assez. Pour vous, comme pour les autres boîtes, l’enjeu est souvent que toute la boîte se mobilise, et non pas juste un site. Et ensuite, pour une boîte, que se mobilisent les autres boîtes qui sont dans le même secteur. Et au-delà du secteur, d’arriver à se mobiliser avec les autres boîtes qui subissent les mêmes situations. Dans les syndicats, tout le monde en a fait l’analyse et le constat. Mais ces idées deviennent-elles la base des réflexions des salarié-e-s, ou bien l’implication dans la lutte est trop récente pour qu’émerge cette idée d’intérêt commun de l’ensemble des salarié-es subissant de tels plans ? De la même façon, le fait que des salarié-e-s soient en lutte sur Montpellier depuis plusieurs mois, modifie-t-il leur perception de la finalité du travail qu’ils font ? Est-ce que cela les amène à s’interroger plus largement sur le fonctionnement général de la société dans laquelle on vit, la place de la santé publique, la place du médicament, le fait de générer du profit sur la santé ?
Éric : Lors des déplacements en manif, on en parle beaucoup. Les salarié-e-s de Sanofi ont en tête les problèmes de société, comme le fait que Sanofi reçoive des crédits impôts recherche, que la base du financement de nos métiers, c’est le remboursement de la Sécurité Sociale, qu’on vit aux crochets de la société. Et que, de l’autre coté, Viehbacher veut donner toujours plus de sous qui arrivent de là à tous les actionnaires, à l’Oréal. Et que les autres bénéfices partent dans des fonds de pension américains.
En ce moment, avec la réduction des budgets pour l’achat des produits avec lesquels on travaille, notre charge de travail a diminué. Nous avons plus de temps pour échanger entre nous, ce qui renforce la prise de conscience chez tous les salarié-e-s. À chaque annonce, aux informations, de fermeture d’entreprises ou de licenciements, malheureusement presque quotidiennement, nous réagissons.
Nous avons fait beaucoup de travail sur les nouveaux moyens de communication, que cela soit Facebook, Twitter, et je crois que l’on est pas mal suivi. Il y a de nombreux commentaires qui viennent. C’est intéressant de voir que les gens sont aussi écœurés que nous. On sent de la solidarité un peu partout, ce qui n’a pas toujours été le cas, surtout avec les salarié-e-s de Sanofi, qui ne sont pas considérés comme les plus à plaindre, ce qui est vrai, mais qui n’empêche pas que nos revendications soient légitimes. Il me semble qu’un mouvement général de contestation face aux licenciements ait l’air de prendre, et c’est ce qu’il faudrait construire et ne rien lâcher.
Interview réalisée le 29 octobre 2012.
Actuellement, la lutte des Sanofi continue. Toute l’actualité et l’agenda des actions sont sur le site http://www.facebook.com/LesSanofi.
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