Avec le projet Alicem, l’État français est en train de déployer la gestion d’identité biométrique à l’échelle du pays. La volonté affichée est de rendre la reconnaissance faciale obligatoire à moyen terme, en conditionnant l’accès au service public à l’identification par cette méthode. La généralisation de la surveillance n’est pas un phénomène nouveau (en France comme ailleurs : Angleterre, Chine…), mais il s’agit ici d’un brusque saut en avant vers la banalisation du contrôle social, en inscrivant cette surveillance jusque dans nos corps.
D’après certains médias généralistes, la France se préparerait à devenir le premier pays européen à utiliser la reconnaissance faciale pour ses services publics. Celle-ci serait d’abord optionnelle (mise en place dès novembre) mais, s’inscrivant dans un projet global de dématérialisation des services publics et dans un contexte sécuritaire de plus en plus oppressant, on imagine mal nos gouvernants s’arrêter en si bon chemin. Avec cette technologie, il faudra s’identifier via la reconnaissance faciale pour accéder aux avis d’imposition, mais aussi à la Sécu, aux formulaires pour immatriculer un véhicule ou encore pour simuler sa retraite… La surveillance personnalisée et quasi-constante comme mode de gouvernement n’est pas un phénomène nouveau. Mais l’accès par voie biométrique (empreintes digitales, iris, voix, visage, etc.) aux différents services publics représente un pas de plus dans le contrôle social en inscrivant cette surveillance à même nos corps.
L’État français, bien que précurseur en Europe, est loin d’être isolé dans cette démarche, déjà très avancée par exemple en Chine où le contrôle social des individus est d’ors et déjà digne des pires dystopies. L’autoritarisme étatique a de beaux jours devant lui. Il peut compter sur le fervent soutien de sa « startup nation » qui voit là de nouveaux marchés « innovants » à conquérir, fusse au détriment du respect de nos vies privées et donc de nos libertés. Sans oublier bien sûr, le soutien des patrons des GAFAM [1] et autres multinationales du numérique, qui appelaient de leurs vœux et prophétisaient il y a déjà plusieurs années, la fin de la notion de vie privée sur Internet – c’est-à-dire, dans cette société capitaliste hyper-connectée, la fin du droit à une vie privée tout court.
Il faut rappeler que toutes ces données biométriques seront stockées quelque part, dans un serveur accessible depuis Internet – et donc faillible ; que se passerait-il en cas d’intrusion ? Le gouvernement a-t-il réfléchi à la possibilité de 70 millions d’usurpations d’identité ?
Nous n’oublions pas, par ailleurs, que le projet de loi de finances pour 2020 autorise les services des impôts et des douanes, à exploiter les données publiées par les internautes sur les réseaux sociaux et les plateformes de ventes en ligne, pour détecter d’éventuels cas de fraude fiscale. Évidemment, ces nouvelles mesures d’espionnage de la population ne sont pas là pour s’attaquer aux milliards d’euros d’évasion fiscale du grand patronat – si c’était réellement l’intention du gouvernement, celui-ci ne choisirait pas un espionnage de masse mais plutôt une surveillance ciblée des coupables, parfaitement identifiables. Non, la cible du gouvernement, ici, c’est par exemple des précaires qui, pour arrondir des fins de mois difficiles, ne déclarent pas des ventes en ligne. On peut légitimement s’interroger devant le sens des priorités du gouvernement. Il est difficile de ne pas voir dans cette nouvelle forme de « lutte » contre la fraude fiscale une étape de plus pour, d’un côté, intensifier le contrôle social et, d’un autre côté, casser les services publics en supprimant des postes. On peut d’ailleurs craindre que l’algorithme qui mettra en œuvre cette surveillance et ces suppressions de postes soit sous-traité à une multinationale elle-même coupable d’évasion fiscale (rien que Google, c’est 16 milliards détournés aux Bermudes en 2016)…
L’Union communiste libertaire est partie prenante de la campagne Technopolice dénonçant l’émergence de la nouvelle société de surveillance et de la police du futur. Pour lutter contre un arsenal législatif qui se renforce, pour préserver nos chances d’arrêter la machine, l’Union communiste libertaire s’oppose fermement à la généralisation de la reconnaissance faciale et des autres technologies de surveillance de la population.
[1] C’est par cette acronyme (signifiant « Google Amazon Facebook Apple Microsoft ») que sont désignées les grandes entreprises américaines qui gèrent les principales plateformes numériques centralisées capitalistes.