Nous avons rencontré Mohamed Amami, militant révolutionnaire tunisien, réfugié politique en France depuis 2006. En rupture avec le trotskisme depuis plusieurs années, il se déclare indépendant et partisan de la démocratie directe. Il fait la navette entre la France et son pays d’origine, dans le but de renforcer le mouvement révolutionnaire ; il participe à la construction d’ une nouvelle organisation en réseau basée sur des conceptions anti centralistes et anti hiérarchiques : les organisations libertaires tunisiennes sont inclues dans ce processus de construction. Mohamed cherche également à monter une radio libre sur Sidi Bouzid. Nous avons saisi cette opportunité d’avoir des informations récentes sur la Tunisie.
IAL : Quelle est la situation actuelle en Tunisie au niveau économique et social ?
Mohamed Amami : chaque jour il est répété que l’économie tunisienne est dans une situation catastrophique, que l’endettement oblige à sans cesse emprunter. Mais la réalité ce n’est pas cela. Le gouvernement parle des pertes occasionnées par les jours de sit-in et les actions de blocage du phosphate, il parle d’une perte de 8 milliards de dinars par jour seulement pour le phosphate. Cela montre que l’économie est riche et fertile. En plus du phosphate, on parle d’importantes réserves de pétrole cachées jusqu’à présent mais mises au grand jour par des chercheurs. Il y a également les céréales, les vins, les agrumes, les dates etc. Donc la Tunisie est très riche mais son peuple est pauvre parce que le pillage est énorme.
IAL :Peux-tu nous parler des avancées et des stagnations de l’après-révolution ?
M.A : Nous ne sommes pas dans l’après révolution, on commence véritablement la révolution. Le processus révolutionnaire vient de commencer. On parle toujours de post révolution, mais il y a eu une insurrection de quelques jours qui a obligé le régime à se restaurer en jetant Ben Ali et sa famille. Mais on essaie de restaurer ce régime avec d’autres forces qui ont longtemps été dans l’opposition mais aussi avec une partie des pro Ben Ali qui n’étaient pas au premier rang. Donc aujourd’hui on n’a rien fait de la révolution, les mobilisations continuent dans les régions et les secteurs avancés de la révolution pour atteindre une situation vraiment révolutionnaire et renverser le régime.
IAL : Quelles sont les régions les plus en pointe, plutôt dans les villes, les campagnes ?
M.A : Il y a en fait 2 Tunisie. La Tunisie côtière reconnue comme avancée, moderne et la Tunisie de l’intérieur, déshéritée très, pauvre, ce sont des régions oubliées.
Gafza est la première région à avoir entamé la rébellion, c’est la région la plus riche de la Tunisie avec son bassin minier mais c’est la région la plus déshéritée avec par exemple un taux de chômage chez les jeunes à plus de 40%. Tout prêt de la région de Gafza, il y a la région de Sidi Bouzid. Il y a également la région de Kasserine, de le Kef etc. Il y a plein de régions qui sont loin du pouvoir, qui sont conçues comme lieu de ressources, qui sont pillées et délaissées. C’est pour cela que la rébellion a commencé dans ces régions puis s’est propagée dans les autres régions soit disant plus privilégiées comme Souss où la pauvreté existe également car il n’y a que les grands qui en profitent. Il y a aussi des secteurs dans les grandes villes qui se solidarisent avec ces régions comme par exemple la ceinture de misère à Tunis, les citées populaires.
IAL : Quelles analyse as-tu de la situation actuelle, du processus révolutionnaire ?
M.A : généralement le processus révolutionnaire a imposé au pouvoir une liberté d’expression et une liberté de s’organiser. Mais cette liberté profite aussi aux partis qui étaient jusque là des partis d’opposition légalistes, démocratiques. Ces partis essaient de réduire les revendications et les aspirations du peuple à cette liberté d’expression et de s’organiser. Et donc à contribuer au maintien du pouvoir, à leur liberté à eux (les partis). C’est cette conception d’opposition qui règne autour des partis de gauche comme de droite. Le processus révolutionnaire essaie de briser ce monopole de politisation. Il y a par exemple à l ‘heure où nous parlons et depuis presque un mois deux villages de Sidi Bouzid qui bloquent le train de phosphate, l’empêchant d’acheminer le phosphate de Gafza au lieu de traitement du phosphate. Il y a aussi à Gafza et dans le bassin minier des mobilisations chaque jour. Il y a à Siliana et à Kasserine des manifestations. Les mobilisations et le processus de radicalisation s’opposent à cette politisation et avancent malgré beaucoup d’entraves : essentiellement les appareils bureaucratiques comme celui de l’UG.T.T qui essaient de freiner, de contenir et contrôler les mobilisations pour les laisser dans les normes de conciliation et négociation et il y a aussi l’attitude des partis qui ne s’insèrent pas dans les mobilisations des régions, ils sont dans une attitude de soutien extérieur et de donner des conseils du type « il ne faut pas la violence, il ne faut pas être trop dur, il faut être démocrate, conciliateur etc ».
IAL : C’est la même chose pour la gauche radicale, pour les partis qui se revendiquent révolutionnaires ?
M.A : exactement c’est la gauche qui se revendique révolutionnaire qui a maintenant une conception de la révolution bourgeoise et démocratique. Car pour eux la révolution n’est pas une révolution sociale, c’est une révolution démocratique. Pour eux, il faut faire un régime consensuel, de toutes les forces nationales pour affronter la crise, la pauvreté, pour le développement du pays, pour avoir une place dans les institution internationales digne de la Tunisie et pour faire évoluer les conventions internationales et faire reculer ainsi l’impérialisme. Pour le reste, pour le social ils essaient d’avancer quelques revendications du type « il faut chercher des solutions pour l’emploi, pour les régions qui ne sont pas assez développées etc. ». Voilà leur programme social.
IAL : Justement quelles est ton analyse des barrages et des freins à la révolution notamment par rapport au processus électoral ?
M.A : Le premier barrage est un barrage subjectif, la révolution n’a pas de programme, n’a pas de stratégie. Les forces objectivement révolutionnaires, celles qui s’investissent dans le processus n’ont pas de conceptions stratégiques sur les tâches à exécuter pour arriver à une situation de révolution et à démanteler les structures de l’état. Les partis démocratiques, de gauche, dits révolutionnaire etc. ont un autre programme : s’insérer dans le processus de transition démocratique. Ça c’est un processus négocié avec l’armée, la police de Ben Ali et avec l’opposition de droite telle Ennahda, le CPR c’est à dire avec les islamistes et les libéraux. Il y a un consensus depuis le deuxième sit-in de Kasbah qui était : on va installer un processus de démocratisation de l’état, on défend l’état (car pour eux si on démantèle l’état c’est le vide, le chaos) en le renouvelant, on le restaure en le démocratisant pour élargir sa base sociale et politique.
Ça c’est le grand frein. L’U.G.T.T est la principale force politique (car la centrale tunisienne n’est pas vraiment un simple syndicat qui revendique du social, elle est depuis toujours une organisation politisée et presque un parti ouvrier). Cette centrale a joué un grand rôle pour freiner le processus révolutionnaire en rassemblant tous les politique s de droite, de gauche, des libéraux des islamistes en acceptant le processus transitoire démocratique.
IAL : D’ailleurs peux-tu nous faire un retour sur les élections qui ont eu lieu ?
M.A : Oui. Dans ce contexte là on a opté pour la Constituante. Les forces impérialistes, surtout les États-Unis et la France avaient des alliés dans ces partis. Ces forces se sont présentés comme « sponsor » de la révolution et ont essayé d’injecter cette idée de processus démocratique transitoire qui s’est réalisé à travers des élections centralisées , préparées par un comité formé pour préparer la loi électorale exceptionnelle. Cette loi là a exclu de fait tous les révolutionnaires, les indépendants tous ceux qui étaient à la tête des mobilisations dans les régions, dans les secteurs avancés du peuple. C’était des élections sur des listes, tout le monde ne peut pas monter des listes. Tout a été contrôlé, c’était une démocratie « goutte à goutte » où à chaque moment on injecte une petite tranche de démocratie adaptée à la situation du régime. De toute façon en Tunisie ceux qui sont toujours à la tête du processus révolutionnaire sont es gens autonomes, indépendants puisque les partis étaient à la marge de la révolution, à côté. Ils demandaient à Ben Ali une marge pour contribuer, pour participer et ne concevaient pas qu’on puisse virer Ben Ali en 2011. Pour conclure, les élections du 23 octobre 2011 ont fait un grand barrage contre la révolution, et ont essayé de désorienter la révolution vers la restauration du régime, grâce aux alliés au sein de l’opposition qui ont joué un grand rôle. Elles ont été faites sous le contrôle absolu et imminent de l’armée pour superviser et garantir cette transition.
I.A.L : Peux-tu nous parler du niveau d’auto-organisation du peuple lors de la révolution et par la suite ?
M.A : les révolutionnaires, les gens qui s’attaquaient aux symboles du pouvoir, aux postes de police, aux délégations du gouvernorat dans les régions étaient obligés de se défendre, de s’auto-organiser en comité de défense. D’abord il y a eu donc l’émergence de ces structures auto-organisées. Ces structures là après, quand elles ont eu la possibilité de libérer pas mal de régions, la police ne passait plus dans ces régions et ont commencé à gérer les villes et les villages en pratiquant la solidarité, l’aide aux gens, d’aider les paysans dans leurs travaux. Ils ont fait des comités pour nettoyer les rues, car il n’y avait plus de conseils municipaux. Cette autogestion des villes et villages était dans la première période où les partis étaient quasi absents. Les syndicats locaux régionaux des secteurs avancés étaient bien implantés et ont bien contribué au processus révolutionnaire. La direction de la centrale U.G.T.T s’est affaibli à ce moment là, surtout que son secrétaire général était jusqu’à la dernière minute avec Ben Ali et a essayé de le sauver. Tout ça a poussé les syndicalistes à être indépendants vis à vis de leur appareil et ont contribué à cette auto-organisation. Mais après si ça dure, il faut théoriser ça c’est à dire il faut arriver à tirer des leçons, il faut arriver à lier les régions entre elles, il faut essayer de centraliser l’idée et de la propager dans tout le pays. Cette tentative a été faite en avril, mai 2011 mais tous les partis de l’extrême gauche se sont investis pour la casser. Il y avait un congrès pour essayer de constituer une fédération de ces structures auto-organisées mais les partis d’extrême gauche ont cassé ça carrément, ils ont essayé de dominer ce processus car pour eux c’est inconcevable qu’il y ait des structures indépendantes de leurs partis. Et donc malheureusement ces structures auto-organisées se sont évanouies petit à petit. Mais là les islamistes entrent avec leur argent du Qatar, de l’Arabie Saoudite essaient de corrompre quelques structures, d’en monter d’autres artificiellement et de les mettre en position de défense de leurs partis pour monopoliser le pouvoir. Et maintenant on voit ce qu’on appelle les ligues de défense de la révolution qui sont des milices de défense islamistes qui essaient de briser les mobilisations dans les rues.
I.A.L : Est-ce qu’il y a eu des réactions en opposition à cela et pour au contraire aller vers des idées autogestionnaires et de démocratie directe ou on est un peu dans le creux ?
M.A : Pour l’instant l’idée circule, des petits groupes se forment autour, justement dans notre projet organisationnel. Nous essayons de rétablir cette idée et de la propager au sein des mobilisations et surtout des occupations en cours dans la région de Sidi Bouzid, Gafza, Souss etc. On essaie d’acculer les militants de gauche qui se sont entre temps liés à leur appareil mais qui sont dans les mobilisations à refaire renaître ces structures (ato-organisées) et à les propager et les fédérer.
I.A.L : Pour résumer on peut dire que les partis ont été hors du processus, quand ils y sont entrés ça a été pour le freiner ou le contrôler. Là il y a des tentatives de reconstruire ces velléités d’organisation à la base qui ont été cassés. C’est ça ?
M.A : Oui.
I.A.L : Tout à l’heure tu as parlé de syndicat dans les villes , y-a-t-il des syndicats qui se sont dé-fédérés de l’U.G.T.T, y-a-t-il des structures qui ont émané en dehors de l’U.G.T.T ?
M.A : Pour l’instant une seule fédération s’est constituée hors de l’U.G.T.T, c’est une fédération des universitaires. Elle est autonome, essaie de trouver sa place mais lors des luttes c’est toujours l’U.G.T.T qui conclut les conventions avec l’État. Et donc eux ils sont à la marge car l’U.G.T.T est très forte : 750 000 adhérents et plus l’U.G.TT est présente jusque dans toutes les petites villes, les plus petits villages. C’est pour ça que lutter contre cet appareil est primordial pour attirer des syndicalistes qui sont radicaux mais ligotés par leur propre direction.
I.A.L : Et cette fédération est un héritage de la révolution ?
M.A : Oui.
I.A.L : Peux tu nous parler de la place des femmes et du mouvement féministe actuellement.
M.A : En règle générale, la femme prend une place importante dans les mobilisations, mais il y a toujours un décalage entre la place des femmes et le résultat, car elles finissent toujours par être mises dans une position régressive. Elles faisaient parti des franges les plus radicales au sein de la révolution, les trois composantes les plus radicales étant les jeunes, les femmes, et les habitant-es des régions les plus déshéritées. Mais comme à chaque fois qu’elles militent pour une situation meilleure, on finit par se retrouver dans une situation pire. Le capitalisme se saisissant de la religion musulmane pour contrecarrer les aspirations d’émancipation que revendiquent toutes les franges sociales (jeunes, femmes, marginaux….). Actuellement, il y aun courant qui commence à se voir un peu, que l’on appel le courant moderniste. Ce sont des réformistes qui étaient prêts du régime de Ben Ali, car il représentait un rempart à l’islamisation de la société tunisienne, et sont bien obligées de se rattacher au mouvement révolutionnaire pour défendre et développer les droits des femmes.
I.A.L : Il n’y a pas encore d’organisation spécifiquement féministe radicale en Tunisie ?
M.A : Il y a une ONG qui s’appelle « Les femmes démocrates » qui lutte pour l’émancipation de la femme, mais elle reste une organisation libérale. Pour elles, la question de la femmes est indépendante de la question économique et sociale. Il y a en revanche deux partis maoïstes qui ont construit des structures spécifiquement de femmes qui sont plus radicales sur les questions économiques et sociales bien entendue, mais sur la question féministe spécifique, elles sont moins en avance que les libérales.
I.A.L : Concernant le rôle des mouvements de chômeurs sur la révolution ?
M.A : Pour ce qui est de l’Union des Diplômés Chômeurs, les prémices ont commencé aux alentours de 2004, avec des étudiant-es qui ont essayé d’organiser la jeunesse en sortie d’étude qui se sont majoritairement trouvés au chômage par le biais de mobilisations, plutôt petites et symboliques dans plusieurs régions périphériques du pays jusqu’à ce que le processus révolutionnaire prenne de l’ampleur. Ils ont donc essayé d’être « à la tête » du mouvement, ils ont fait partie des premiers réprimés et massacrés par l’état. Ils ont tenté d’organiser des coordinations dans les différentes régions, et l’organisation s’est surtout construite au cours de la révolution et joue un rôle plus important que les partis dans la radicalisation du mouvement.
I.A.L : Concernant les conséquences de l’arrivée des islamistes au pouvoir ?
M.A : Il faut savoir déjà que les islamistes d’Ennhada étaient, jusqu’à la veille de la chute de Ben Ali, ils essayaient de négocier avec lui une contribution au gouvernement et n’avaient pas de problème à lui donner un autre mandat pour la présidence. Les états unis ont jusqu’à présent un bureau spécial pour gérer le courant des frères islamistes puisqu’ils sont en cohésion avec la politique de ces derniers dans la région et ils essayent de prendre place dans la construction du Grand et Moyen Orient. Ils avaient donc des pourparlers depuis au moins 2006 avec les américains, qui souhaitent virer les dictateurs en place pour mettre en place un autre pouvoir, au travers du Qatar, afin de trouver une solution pour participer au pouvoir, avant même que les mobilisations se mettent en place. De là, l’islamisation était un fait voulu par, non seulement l’Europe et les U.S.A, les régimes du golf et aussi une partie du régime de Ben Ali, quitte à donner la direction aux islamistes, il s’agissait pour eux de garder leurs privilèges, ce qui explique qu’actuellement, l’ancien gouvernement de Ben Ali est toujours dans les instances de décisions. On nous dit donc que c’est un parti qui n’est pas obscurantiste mais « juste » conservateur, et ce n’est pas vrai. Ils ont entamé un pouvoir d’islamisation par en bas, par exemple la police a pour mission de réguler la consommation d’alcool dans les rues, la mixité, et d’islamiser petit à petit la société. Ils sont aussi engagés dans un processus de rédaction de la constitution, ils essaient d’imposer, puisqu’ils sont majoritaires au sein de la constituante, leur vision islamiste de la société, et depuis deux ans, la rédaction de cette constitution n’avance pas et c’est un véritable harcèlement, ils n’hésitent pas à utiliser des milices afin de contrôler la population, verrouillant toute possibilité de mouvement. Actuellement, les femmes se voilent même par peur, bien que n’étant pas forcément islamistes.
I.A.L : Ce sont les fameuses ligues de défense de la révolution ?
M.A : C’est l’une des composantes, il y en a trois en vérité, il y a aussi les milices du parti au pouvoir et les milices islamistes, qui par moment sont en conflit mais se rejoignent assez généralement.
I.A.L : Est ce que tu penses qu’il y aura une islamisation de la société ou, au contraire, la population se rendra compte qu’ils ne sont pas une alternative pour une vie meilleure ?
M.A : Il y a deux choses, mais c’est politique. Ils travaillent sur le plan politique et moral. Même les gens qui prennent conscience qu’ils ne présentent rien de nouveau par rapport à Ben Ali et qu’ils sont des libéraux comme son prédécesseur, ils se laissent avoir par le travail des prédicateurs qui font passer le fait qu’ils ne sont pas islamisés, par un travail au quotidien auprès des gens. Car même si l’on pense que leur travail n’est pas bon, on peut croire que d’autres islamistes se présentant plus radicaux, pourraient apporter des solutions.
I.A.L : Et comment vois-tu la suite du mouvement ?
M.A : En règle générale, je ne suis pas très optimiste. Avec la pression impérialiste et le pétro dollar qui est mis en place, il n’y a pas de solidarité non plus au niveau international, et on a jamais vu de révolution qui ait pu réussir sans une prise de conscience globale, internationale. Ce que nous avons besoin c’est d’une force internationale et pas seulement nationale. Je vois donc que l’internationalisme et la solidarité chez les capitalistes sont très importantes mais beaucoup moins chez les forces révolutionnaires. Même si nous allons continuer à lutter, nous espérons que la situation va nous permettre de déboucher vers d’autres volontés concernant le nord de la Méditerranée, car nous pensons que si la révolution touche le nord méditerranéen et que de véritables solidarités se mettent en place, nous serons d’autant plus forts, et les capitalistes seront obligés de lâcher un peu de terrain par chez nous.
I.A.L : Et concernant la solidarité qui pourrait se jouer au niveau du nord de l’Afrique ?
M.A : Malheureusement au Maghreb il n’y à qu’en Tunisie où il se passe une révolution. En Algérie et au Maroc, les mouvements ont été étouffés et contenus. Donc il n’y a pas de réelles solidarités entre les révolutionnaires et le peuple, la coordination se fait surtout au niveau des régimes. Il y a le cas de l’Égypte par contre, où la solidarité était magnifique, mais depuis l’arrivée au pouvoir des islamistes, la solidarité a été brisée et c’est encore une fois les pouvoirs en place qui prennent cet ascendant sur nous, donc nos liens ont redressé. Nous craignons aussi le pire venant de la part de la Libye, entre les armes et les islamistes, nous sommes isolés, il y a plus de méfiance que de solidarité. A chaque fois que les islamistes arrivent au pouvoir, c’est toujours la guerre de tous contre tous, c’est l’un de leurs principes.
I.A.L : Peux tu nous parler du paysage du mouvement révolutionnaire et libertaire en particulier ?
M.A : A la marge des institutions de gauche et du front populaire (nationaliste), il y avait des autonomes qui ont refusé cette alliance. Il y a même des militant-es qui ont essayé d’être dans des coordinations de ce front pour influencer de l’intérieur les militant-es de ces structures. Mais il y a eu des petits groupes qui se sont formés autour de ce que nous appelons le Coordination Révolutionnaire composée d’anarchistes, de communistes libertaires et aussi de personnes qui s’identifient juste autour des précédents autogestionnaire en prenant cela comme modèle. Il y a l’organisation Désobéissance qui est une organisation anarchiste aussi, ainsi qu’un petit groupe de syndicalistes libertaires, et tous ces petits groupes essaient de collaborer ensemble (par le biais de communiqués par exemple), mais ils sont faibles numériquement et n’ont pas vraiment de visibilité ni de stabilité, ils sont en construction. Et nous, nous essayons de construire une organisation fédéraliste et coordonnée mais avec une autonomie des moyens en essayant de se doter d’une réelle stratégie pour la Tunisie.
I.A.L : Tu nous as parlé d’un projet de radio à Sidi Bouzid, si tu souhaites en parler …
M.A : Pour le moment, on a surtout besoin de matériels et de savoir faire. Nous souhaitons en effet monter une radio libre pour émettre nos idées à Sidi Bouzid. Il y à une réelle nécessité, car nous essayons tous d’avoir un outil d’expression autonome qui ne dépende ni des partis, ni du pouvoir, ni des organismes classiques.
I.A.L : Souhaites tu dire un dernier mot ?
M.A : Même si les difficultés sont énormes et qu’il est actuellement très compliqué de faire un travail révolutionnaire organisé, nous voulons préserver notre autonomie. Actuellement, la Tunisie est un souk, les partis, les organisations, ils ont tous des bailleurs de fond derrière eux, et nous, nous allons devoir affronter tout ça, mais nous avons le courage et nous n’avons pas d’autres choix.
I.A.L : Merci beaucoup Mohamed.
Propos recueillis le 15 mai 2013 par Gilles et Valérian (groupe de Montpellier)
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