Nombre de militantes et de militants qui ont eu la chance de le côtoyer dans sa longue vie de luttes regretteront la générosité et la malice de Maurice Rajsfus, reconnaissable à son écharpe rouge, décédé le 13 juin 2020 à l’âge de 92 ans.
Maurice nous a quitté·es le jour même de la manifestation à Paris, initiée par le Comité Adama. Le collectif Vies volées, collectif de familles victimes de crimes policiers, a d’ailleurs rendu hommage à ce «pionnier de la lutte contre les violences policières». Ses enfants, Michelle et Marc Plocki, témoignent : «Nous avons pu, lors de ses derniers jours de lucidité lui dire ce qui se passait à Paris et dans le monde entier, contre les violences policières et le racisme policier. Il est paradoxal qu’il soit parti alors que le combat qu’il a mené souvent seul, en éclaireur, sur ces questions, durant des dizaines d’années, prend aujourd’hui des dimensions à la hauteur de ces violences systémiques inacceptables et de leur déni par leurs auteurs et leurs donneurs d’ordre».
Rescapé du Vel d’Hiv en 1942
Maurice a vécu dans sa chair les crimes de la police puisqu’il était rescapé, à 14 ans, avec sa sœur Jenny Plocki, de la rafle antisémite du Vel’d’Hiv du 16 juillet 1942 opérée par les policiers français. Leur père Mushim Plocki et leur mère Rywka Rajsfus (qui fut en Pologne militante du Bund, parti ouvrier juif révolutionnaire), émigré·es Juifs polonais «ayant fui autant l’antisémitisme que le carcan étouffant de la religion» furent déporté·es et disparurent dans le camp nazi d’Auschwitz. «J’en veux profondément à la police de ce pays, plus qu’aux Allemands; sans cette police, les nazis n’auraient pas pu faire autant de dégâts.»
Maurice Rajsfus a écrit de nombreux livres sur cette période, particulièrement sur Vichy et sur la politique de déportation, défrichant et éclairant certaines zones d’ombre jusqu’alors peu explorées par les historiennes et historiens.
Maurice devint militant à 16 ans, après la Libération de Paris en août 1944. Son parcours, depuis son engagement dans le mouvement des Auberges de jeunesse et sa participation active à la lutte anticolonialiste contre la guerre d’Algérie, démontre qu’il resta toujours un esprit libre et un «contestataire irréductible».
L’Observatoire des libertés publiques
C’est après Mai 68 qu’il constitue patiemment, jusqu’en 2014, un fonds unique d’environ 10.000 fiches sur les violences policières, qui lui servit de source pour de nombreux ouvrages sur le sujet. Puis il crée en mai 1994, avec Jean-Michel Mension (alias Alexis Violet, qui fut l’un des auteurs de l’inscription «Ici on noie les Algériens», sur les quais de la Seine au lendemain du massacre du 17 octobre 1961), l’Observatoire des libertés publiques (OLP). L’OLP publiera régulièrement le bulletin Que fait la police? jusqu’en 2014.
Au lendemain de l’ignoble profanation du cimetière juif de Carpentras en 1990, dans un contexte de forte montée du FN, il fut l’initiateur de l’«Appel des 250», d’où devait sortir le réseau antifasciste Ras l’front. Il en fut le président jusqu’en 1999, tout en poursuivant un compagnonnage avec le réseau No Pasaran et avec la revue REFLEXes. «C’est cet héritage de persécuté qui a fait de moi un révolté, mais surtout un militant viscéralement opposé aux tenants de l’Ordre nouveau et de la politique d’exclusion. Fugitif, Juif errant malgré moi pendant mon adolescence, je faisais partie de ceux que l’on rejette, que l’on expulse, que l’on assassine à l’occasion.» (Chaque pierre a son histoire, Ginkgo, 2012)
Ses enfants, Michelle et Marc Plocki, témoignent qu’il leur a «appris l’esprit critique et l’insoumission à l’air du temps. Il n’a jamais recherché le confort des majorités, dont il se méfiait. Passé par plusieurs partis politiques, il a fini par choisir une voie personnelle, tout en continuant de “cousiner”, comme il aimait à le dire, avec les uns et les autres, à gauche de la gauche».
Le meilleur hommage à rendre à Maurice Rajsfus est de poursuivre et d’amplifier son combat de toujours contre le fascisme, l’idéologie sécuritaire et la répression.
Ses archives personnelles devraient être hébergées par la Contemporaine (anciennement Bibliothèque de documentation internationale contemporaine) à Nanterre.
Salut et fraternité, Maurice!
Sébastien (UCL Nantes)
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