Autogestion

  • Industrie pharmaceutique : comment on peut la socialiser

    15 Mai 2020

    C’est une filière indispensable pour produire, en grande quantité, des tests de dépistage et une molécule qui donnerait des résultats contre le virus. Elle l’est également, hors contexte d’épidémie, pour produire des vaccins et des médicaments contre les maladies chroniques par exemple. La laisser entre les mains d’intérêts privés, c’est aller vers de nouvelles catastrophes.

    C’est parce que l’industrie pharmaceutique est soumise à la loi du profit que sa production a été délocalisée, notamment en Chine et Inde, afin de baisser les salaires et les conditions de contrôle sur les médicaments [1].

    L’Inde fournit 20 % de la demande mondiale. Or l’État indien a décidé, après avoir décelé six cas de coronavirus, de restreindre l’exportation de 26 médicaments (antibios, paracétamol, un antiviral…) pour sécuriser son approvisionnement [2]. Les chaînes d’approvisionnement en médicaments ont ainsi été considérablement complexifiées, la doctrine libérale de gestion des stocks à flux tendu n’arrangeant rien.

    Mais cela ne date pas de la pandémie. En une décennie, les ruptures de stock de médicaments en France ont été multipliées par 12 [3] : anti- infectieux, vaccins, traitements contre l’épilepsie ou Parkinson, anticancéreux, aujourd’hui craintes des malades chroniques dont les associations ont signé une tribune avec des scientifiques et des responsables CGT et Solidaires [4]. La relocalisation de la production de médicaments en France ou en Europe est aujourd’hui en débat. Mais tant que cette production restera soumise à la loi du profit, ça ne sera pas suffisant.

    Les entreprises françaises chercheront à maximiser leurs profits par d’autres biais que les délocalisations : en se concentrant sur les médicaments qui rapportent, en gérant les stocks en flux tendu, en changeant les formules pour déposer de nouveaux brevets [5], ou en faisant du lobbying pour que ce soient les traitements les plus onéreux qui soient remboursés et donc prescrits [6]. D’ores et déjà, Sanofi tire parti de la crise en annonçant l’externalisation de 6 de ses 11 sites européens (soit plus de 1.000 salarié·es en France et 3.000 en Europe), soit-disant pour mieux lutter contre les pénuries, en réalité pour se débarrasser des sites produisant les médicaments les moins lucratifs [7].

    Assoiffé de profit, le géant Sanofi enchaîne les plans de restructurations, notamment dans la recherche, où 2 500 postes ont été supprimés en dix ans. © Peter Sondermann

    Ce que signifie contrôle populaire

    Sortir cette industrie de la loi du marché en la socialisant est donc une question de santé publique. Socialiser, ça ne veut pas simplement dire la réquisitionner le temps de la crise : en effet, réorganiser une production largement délocalisée, ça ne va pas se faire du jour au lendemain.

    Socialiser, ça ne veut pas dire nationaliser, au sens où l’État deviendrait actionnaire majoritaire voire unique, mais où l’on resterait dans le cadre de la concurrence capitaliste, en s’imaginant que l’État aux commandes, « ça sera moins pire ». On voit bien où peut nous conduire le cas d’Air France que le gouvernement envisage de renationaliser parce que la compagnie est en difficulté… en annonçant qu’il la revendra une fois la crise passée – et sans doute après y avoir injecté moult argent public, ce qui veut dire socialiser les pertes et privatiser les profits !

    Socialiser, pour commencer ça veut dire exproprier les capitalistes qui possèdent les entreprises de la filière. Sans indemnités il va de soi. Ils ont suffisamment profité des bras et des cerveaux de leurs salarié·es, et vécu sur le dos de la Sécurité sociale. Mais socialiser, ça ne veut pas non plus dire une concurrence entre des entreprises autogérées, ce qui conduirait à coup sûr à des dérives similaires.

    L’organisation du travail serait de la responsabilité des travailleurs, mais la finalité de la recherche et de la production serait sous contrôle populaire, par le biais d’une planification démocratique. La population, à travers ses représentant·es (mandaté·es révocables et/ou tirées au sort, représentant·es d’associations de malades) déciderait, en concertation avec la filière socialisée, des priorités de la recherche et de la production. Une caisse d’investissement financée par la cotisation sociale, sur le modèle de la Sécu, dégagerait cette filière de la loi du profit [8]. L’utilité de chaque métier [9], de chaque site et de son éventuelle reconversion écologique pourrait ainsi être questionnée.

    Malgré le fait que Sanofi saborde son secteur recherche et a réalisé un bénéfice net de 2,8 milliards d’euros en 2019, le groupe touche 150 millions de Crédit impôt recherche par an. © Randy Monceaux

    Ne pas s’en tenir à cette filière

    Mais finalement, ce raisonnement, on peut l’appliquer à toutes les entreprises. Qu’on le veuille ou non, c’est indispensable. Toute l’économie est imbriquée : la pharmaceutique dépend de l’approvisionnement en matières premières [10], en machines, de la logistique, etc. Or la socialisation d’une partie de l’économie se solderait nécessairement par des mesures de rétorsion de la part des capitalistes : pénalités de l’Union Européenne ou barrières douanières, jusqu’à l’exemple d’un coup d’État comme au Chili en 1973. On pourrait imaginer le patronat des transports refusant de livrer les entreprises socialisées, ou bien celui la chimie refusant de livrer des consommables, en prétextant du désordre causé par la socialisation.

    Mais cette imbrication est également internationale. Certains médicaments nécessitent une collaborations entre pays, notamment quand un petit nombre de malades est concerné. Il faudra donc pousser à la socialisation au-delà les frontières, et briser la dépendance commune aux intérêts privés.

    Ne socialiser qu’une partie de l’économie n’est pas suffisamment cohérent. Mais dans le contexte d’une pandémie qui a ouvert les yeux à beaucoup de monde, on peut gagner une majorité d’idées sur la nécessité de socialiser le secteur de la santé et de l’industrie pharmaceutique. Un objectif intermédiaire avant d’aller vers la socialisation générale des moyens de production.

    Grégoire (UCL Orléans)

    © François Terrier

    [1] Un tiers des médicaments produits en Inde sont non conformes (Le Monde, 11 janvier 2018).

    [2] « Covid-19 : l’Inde restreint l’exportation de 26 médicaments et API », Industriepharma.fr, 3 mars 2020.

    [3] « Coronavirus : la chaîne d’approvisionnement des médicaments remise en cause », RFI, 6 mars 2020.

    [4] « Pénurie de médicaments vitaux, tests et équipements : l’appel des personnalités ! », à retrouver sur le blog Mediapart de Pauline Ondeix, 7 avril 2020.

    [5] Comme cela s’est fait avec le Levothyrox en 2017, ce qui a conduit à une vague d’effets secondaires indésirables chez les malades.

    [6] Simon Gouin, « Lobbying : comment l’industrie pharmaceutique prend d’assaut les institutions européennes », Bastamag.net, 24 mai 2019.

    [7] « Le grand coup de bluff du groupe Sanofi », L’Humanité, 16 avril 2020.

    [8] Sur ce point, et dans ce cadre – socialisation d’un secteur industriel particulier en dehors de la révolution globale de l’économie et de la société que prône l’UCL – nos idées peuvent rejoindre celles de Bernard Friot, « La cotisation, levier d’émancipation », Le Monde diplomatique, février 2012.

    [9] On pense ici aux métiers parasites comme celui de représentant médical.

    [10] C’est par exemple l’approvisionnement insuffisant en réactifs qui limite aujourd’hui la production de tests de dépistage. « Les “réactifs” au cœur du manque de tests », Libération, 29 mars 2020.

  • Notice d’info de l’UCL Montpellier : Solidarité directe (1)

    24 Mar 2020

    Bonjour à tous.tes.
    En ces temps spécifiques, le groupe de l’UCL de Montpellier trouve judicieux de pouvoir transmettre un maximum d’informations sur la situation et ce que nous pouvons faire.  Solidarité directe  Dans ces temps de confinement, il apparait important que nous puissions pallier aux manquements de l’Etat et que nous soyons tous.tes capable de prendre en main la santé des personnes les plus fragiles dans nos entourages direct. De nombreuses initiatives ont déjà commencé à se mettre en place depuis le début du confinement, qu’il s’agisse d’un soutien matériel ou moral aux personnes qui pourraient être les plus isolées. Qu’il s’agisse des précaires, des personnes à risque ou des personnes à la rue, nous avons la capacité d’agir, mais nous devons garder à l’esprit que cela doit se faire en respectant les gestes barrières afin de ne pas multiplier les risques d’infection.  

    1/ Infos sur les distributions alimentaires qui fonctionneraient encore et les lieux d’accueils ouverts pour les personnes sans papiers ou à la rue : 

    Ces Informations nous venant du collectif Migrant.es Bienvenue 34          

     Pour info, l’aide alimentaire devrait à nouveau fonctionner à partirde lundi. 

    Voilà ce qui est censé fonctionner :

    (source : collègues du social de l’Hérault)

    Voici les infos pour orienter au mieux les personnes :Les services de solidarités du département assurent une permanence sociale pour les urgences sur un numéro unique le 0467675000. Pour l’instant nous sommes situés physiquement sur le site de Philippides mais cela peut évoluer. Il est préconisé pour les partenaires ou les personnes de ne pas se déplacer mais d’appeler. Un certain nombre de procédures pourront être instruites à distance.
    Au niveau des associations caritatives- St Vincent de PaulLe restaurant d’entraide est ouvert le midi (11h30-13h30), fermé le soir.Accueil de nuit (25 places) maintenu soit 10 places pour le 115 et 15 places pour les personnes qui s’y présentent spontanément.L’épicerie solidaire fonctionne mais seulement pour les personnes qui y vont déjà (pas de nouveaux dossiers) les mercredis et vendredis matins de 8h30 à 11h30 et les mardis et jeudis de 15h à 17h.
    – La Croix-Rouge : Poursuite de distributions de petits déjeuners bd Henri 4 de 8h30 à 10h30.Les modalités ont changé privilégiant un service à emporter mais pas de fermeture prévue. Accueil de nuit même adresse maintenu.
    – Resto du cœur : La distribution des camions du cœur (seule activité pour l’instant de l’association car les centres de distributions étaient de toute façon fermés jusqu’au 06/04) est arrêtée depuis hier aux Arceaux mais devrait reprendre vendredi ou lundi prochain.La campagne des restaurants du cœur étant fermée, il n’y a plus de distributions dans les centres mais les restaus bébés vont rester ouverts avec une organisation pour un fonctionnement minimal.
    – Secours catholique : Fermé pour la semaine
    – Secours populaire : Organisation des distributions de colis alimentaire sur RDV pendant cette période de crise.Les distributions reprendront la semaine prochaine dans la majorité des antennes.Les personnes accueillies doivent se rapprocher de leur antenne locale pour prendre RDV.
    – Distribution de repas par l’association humanitaire de Montpellier : https://www.midilibre.fr/2020/03/19/montpellier-les-maraudes-et-distributions-de-nourriture-pour-les-sdf-continuent,8808990.phphttps://lepoing.net/le-prefet-et-la-ville-de-montpellier-font-semblant-daider-les-sans-abri/
    Plus d’informations à venir sur la page Facebook du collectif Migrants Bienvenue 34 https://www.facebook.com/collectifmigrantsbienvenue34/
     Les adresses (connues pour la plupart) sont là :https://www.siao34.org/wp-content/uploads/2017/08/Etat-des-lieux-sur-lAide-Alimentaire-%C3%A0-Montpellier-SIAO34-Juillet-2019.pdf Ensuite, le Préfet à lancé un appel aux volontaires par voie de presse : 
    https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/le-prefet-de-l-herault-lance-un-appel-aux-volontaires-pour-maintenir-l-aide-aux-plus-demunis-1584446513.
    Pour le moment, il n’y a pas de masques disponibles, ni de gel hydroalcoolique. 

    2/ Comment confectionner son propre masque de protection
    https://www.cnews.fr/france/2020-03-17/le-chu-de-grenoble-montre-son-personnel-comment-fabriquer-ses-propres-masques?amp

    3/ Concernant les personnes migrantes, la validité des documents (visa long séjour, titre des séjour, autorisation provisoire de séjour, attestation de demande d’asile, récépissé de demande de titre de séjour) qui arriveraient à échéance à compter du 16 mars est prolongée de 3 mois.

    La traduction des consignes de sécurité en plusieurs langues :

    https://www.facebook.com/lautrecantinenantes/photos/pcb.598032770785866/598030594119417/?type=3&theater

  • En luttant contre le virus, transformer la société

    20 Mar 2020

    Depuis que l’épidémie de coronavirus a atteint la France, le gouvernement n’a cessé d’osciller entre des mesures d’endiguement – qui sont allées crescendo – et la volonté de préserver les profits des entreprises, en autorisant la continuité du travail dans des secteurs non essentiels.

    L’Union communiste libertaire, réunie en conférence exceptionnelle le 17 mars, pense qu’il faut inverser les priorités. La pandémie oblige à des mesures qui doivent nécessairement contrarier les capitalistes. Et qui prouveront que la société et l’économie peuvent tourner de façon radicalement différente.

    Pour enrayer l’épidémie

    1. Il faut des mesures barrières qui ne soient pas des mesures « de classe », contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Le confinement ne peut être fonction de la hiérarchie sociale, avec des cadres en télétravail et des ouvrières et ouvriers contraints de se rendre sur les sites de production. Le confinement ne peut être fonction de la hiérarchie sociale. Donc : fermeture de toutes les entreprises et services non essentiels, avec maintien intégral du revenu pour les travailleuses et travailleurs en chômage technique, y compris ceux et celles sous statut précaire (intérimaires, CDD, vacataires, etc.) ;

    2. Le travail ne doit être maintenu que dans les secteurs vitaux au soin, au ravitaillement et à l’information de la population. On pense notamment au système de santé, à l’agro-alimentaire, aux transports, à la distribution alimentaire et sanitaire, aux médias audiovisuels et Internet pour passer les consignes. Les travailleuses et travailleurs de ces secteurs sont en première ligne ; la sauvegarde de la population repose sur leurs épaules. Il faut les gratifier, les aider, les épauler, en commençant par assurer la prise en charge de leurs enfants, avec des mesures de prévention et de protection.

    3. À la fois pour des raisons d’efficacité et pour empêcher les indécents « coronaprofits » des profiteurs de crise, il faut réquisitionner les entreprises privées de ces secteurs, et les intégrer dans le service public, en plaçant leur fonctionnement sous le contrôle des travailleuses et travailleurs eux-mêmes. Ce sont eux et elles, en effet, qui sont les plus à même de savoir comment réorganiser les chaînes de production pour se prémunir du virus, avec des protocoles de prévention adaptés.

    4. Au-delà, ce sont l’ensemble de la production et des services qui doivent être en urgence réorganisés. L’industrie et les services doivent être entièrement tournés vers la production de matériel sanitaire et de protection, et l’assurance des moyens de subsistance pour toutes et tous. Si l’État et les patrons ne le veulent pas, alors c’est aux travailleuses et aux travailleurs de l’imposer.

    Les travailleuses et travailleurs qui assurent les soins et le ravitaillement sont en première ligne ; il faut les aider, les épauler, les gratifier. cc Pieter

    Pour éviter la réédition d’un tel chaos

    1. La situation actuelle démontre la nécessité de réquisitionner et de socialiser l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Cela permettra de relocaliser la production de médicaments, alors que la France est aujourd’hui dépendante des usines implantées en Inde et en Chine pour 60 à 80% des principes actifs. Cela permettra aussi de réorienter la recherche et développement vers la satisfaction des besoins réels, au lieu d’une production visant au profit et qui ruine la Sécurité sociale.

    2. Le système de santé doit également être révolutionné par la réquisition des cliniques privées et leur intégration dans le service public. Un service public renforcé par des embauches massives et la création de milliers de lits supplémentaires, avec un maillage territorial revitalisé. Depuis des mois, les personnels des urgences crient leur désespoir devant le délabrement de l’hôpital public après des décennies de démolition néolibérale. Les politiciens socialistes, gaullistes ou macronistes qui ont orchestré ce désastre auront du sang sur les mains, et il faut le dire haut et fort.

    3. La grande distribution qui, de Carrefour à Amazon, se frotte les mains de la situation actuelle et des profits géants qu’elle escompte engranger, doit également être réquisitionnée et placée sous contrôle de ses travailleuses et travailleurs. Cela leur permettra de se limiter à la distribution des produits vitaux, et de remettre à plat toute l’organisation d’un travail de plus en plus déshumanisé par la conjugaison du taylorisme et du contrôle digital.

    La grande distribution qui, de Carrefour à Amazon, se frotte les mains de la situation actuelle et des profits géants qu’elle escompte engranger, doit également être réquisitionnée et placée sous contrôle de ses travailleuses et travailleurs.

    Ce que les travailleuses et travailleurs peuvent faire

    1. Le mot d’ordre de « droit de retrait général » est le plus adapté à la période dans tous les secteurs non essentiels. Aujourd’hui, dans plusieurs grandes entreprises, des débrayages ont lieu pour se prémunir de la contagion. Mais des salarié·es hésitent encore devant les retenues sur salaire pour fait de grève. Il faut user, dès que possible du droit de retrait pour « danger grave et imminent ».

    2. Nous devons pratiquer l’entraide sociale, à l’échelon de chaque immeuble et de chaque quartier : pensons à nos voisines et voisins les plus fragiles, personnages âgées, à mobilité réduite, malades… qui ont du mal à se déplacer pour faire leurs courses. Pensons à nos voisines et voisins qui travaillent dans des secteurs essentiels, et qui ont besoin de faire garder leurs enfants… le tout en respectant les « gestes barrières ». Téléphone, Internet, applications, messages collés dans le hall de l’immeuble… il y a bien des choses à faire pour organiser cette entraide de proximité.

    3. Gardons-nous des méfiances xénophobes. Non, nos voisines et voisins d’origine asiatique ne sont pas dangereux, et d’ailleurs personne n’est spécifiquement dangereux. C’est l’Europe, et non la Chine, qui est aujourd’hui l’épicentre mondial de la pandémie.

    Il faut interdire la commande en ligne de produits non vitaux. A Amazon, de nombreuses et nombreux salarié·es font grève ou exercent leur droit de retrait.

    Pour limiter la casse sociale

    La pandémie aura été le déclencheur d’un krach boursier et d’une crise financière attendue depuis longtemps par toutes et tous les économistes sérieux. Suite à la crise de 2008, les États avaient en effet pompé des sommes colossales dans les fonds publics pour sauver les traders et les banques privées… qui par la suite n’ont quasiment rien changé de leurs pratiques. Une fois de plus donc, l’économie-casino va craquer, et ce sera dans des proportions sans doute bien pires qu’en 2008.

    Avec son cortège de licenciements et de sous-emploi, cette crise frappera en premier lieu les classes populaires qui vont affronter une hausse du chômage, des temps partiels, des boulots précaires… avec une baisse de revenu à la clef.

    Pour limiter la casse, il faut d’une part renforcer la protection sociale, pour amortir le choc, d’autre part faire payer le capital. Cela passe par :

    • l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage et pas seulement sa suspension ;
    • l’abrogation de la casse des retraites, pas seulement sa suspension ;
    • l’allongement du délai pour pratiquer une IVG d’une durée égale à celle du confinement, pour désengorger les hôpitaux et anticiper les conséquences prévisibles du confinement ;
    • la gratuité des transports pour réduire les démarches, les attroupements et les vecteurs de contamination ;
    • l’interdiction des licenciements pendant la période de confinement, le maintien du salaire des personnels vacataires, intérimaires, en CDD et des salariés déguisés (auto-entrepreneurs ubérisés notamment). Le capital paiera : en 2019 encore, 60 milliards d’euros ont disparu dans les poches des actionnaires du CAC 40 (+ 12 % par rapport à l’année précédente) ;
    • la réquisition des logements vacants, des locations Airbnb et similaires, des chambres d’hôtels, pour mettre à l’abri, dans les conditions de confinement sanitaire dignes,des familles sans logis, des migrantes et des migrants qui survivent dans des campements sauvages, des ouvrières et ouvriers sans papiers qui sont parfois entassé·es dans des foyers ou des squats insalubres.
    • pour les bas revenus, un moratoire sur les loyers et les factures d’énergie, d’eau, de téléphone et d’Internet, l’interdiction des expulsions locatives au-delà du 28 mai.

    Le gouvernement est pris de cours par la situation. On peut donc lui imposer des choses, mais seulement si le mouvement social et syndical se retrousse les manches et essaie de prendre les choses à bras le corps. Il est donc crucial que toutes et tous les travailleurs conscients et déterminés s’emparent de l’outil syndical pour regrouper leurs collègues sur des bases solidaires et combatives.

    La société doit changer en profondeur

    Soyons clairs : ces mesures d’urgence sont parcellaires. Elles répondent à la nécessité d’enrayer l’épidémie et de limiter la casse sociale. Mais elles n’empêcheront pas la crise économique d’advenir, parce que celle-ci est le résultat du capitalisme et de l’économie de marché. Le virus n’en aura été que l’élément déclencheur.

    Face à cette situation inédite, le capitalisme a fait la preuve de sa défaillance mais l’État va chercher à maintenir par tous les moyens le système économique en place, quitte à prendre la main temporairement sur l’ensemble des activités économiques, en procédant de manière dirigiste à l’organisation de la production via des réquisitions.

    Pour le gouvernement, ce sera la seule alternative au chaos auquel mènerait le chacun-pour-soi.

    Pour nous, communistes libertaires, les mesures d’urgence que nous proposons comme les responsabilités qu’imposeront, prendront et exerceront dès aujourd’hui les travailleuses et les travailleurs dessinent une toute autre alternative. Nous avons un autre projet à défendre : un projet reposant sur l’entraide et l’égalité, avec une organisation stricte et planifiée de la production et de la distribution des biens essentiels mais sous contrôle des travailleuses et des travailleurs.

    Nous pensons qu’il est grand temps de repenser de fond en comble le fonctionnement de la société, de l’adapter aux capacités de chacun·e pour répondre aux besoins de tout le monde.

    Nous pouvons en finir avec ce système, en plaçant l’ensemble des moyens de production et de distribution entre les mains des travailleuses et des travailleurs, en remplaçant l’économie de marché par une économie socialisée et autogérée, et l’État par un système fédéraliste autogestionnaire.

    Texte issu des débats de la conférence exceptionnelle de l’UCL du 17 mars 2020


  • Décentralisation : Framafin de (certains) framatrucs

    25 Fév 2020

    En septembre, l’association Framasoft a annoncé la fermeture prochaine de plusieurs services faisant partie de son projet « Dégooglisons Internet ». Retour sur une aventure que l’UCL a soutenu et approuve.

    En 2014, suite aux révélations d’Edward Snowden [1], Framasoft s’attaque à un chantier titanesque  : rendre Internet utilisable sans Google ! Framasoft s’inscrit ainsi dans une pensée militante pragmatique : que peut-on faire pour contrer la surveillance tous azimuts de nos vies sur internet ? Quelles pratiques et outils mettre en œuvre pour faire d’«  Internet [un lieu] de partage et d’indépendance  » ?

    Le mot «  dégoogliser  » est cependant réducteur  : la démarche de Framasoft ne se limite pas à proposer des imitations libristes des outils Google. «  À travers les services que nous déployons, nous promouvons un modèle économique fondé sur la mutualisation des coûts, le partage des ressources, et l’accessibilité au plus grand nombre. Ce modèle possède aussi un caractère éducatif car nous pensons qu’en documentant le déploiement des services, un grand nombre d’utilisateurs seront en mesure de partager à leur tour ces ressources.  »

    Plus de quatre ans plus tard, le projet a suscité l’adhésion, le soutien et l’engouement des internautes. Il a aussi servi de tremplin pour un projet encore plus militant, Mobillizon  [2]. Ce constat enthousiasmant peut nous réconforter sur la capacité des militantes et militants à initier des actions «  utopistes  » qui peuvent paraître irréalisables de prime abord et qui finissent pourtant par se faire et même par convaincre largement.

    Déframasoftisons Internet

    Mais cela ne doit pas faire oublier un des enjeux cruciaux  : comment «  dégoogliser  » Internet sans tomber soi-même dans une forme de centralisation  ? Force est de constater que pour beaucoup d’entre nous, la démarche est devenue facile  : tu cherches un outil Gafam à remplacer  ? Va voir framatruc  !

    Mais c’est un combat perdu d’avance  : Framadavid n’est pas du même poids que le GoliAth inFAMe. «  [Framasoft] est, et souhaite rester, une association à taille humaine, un groupe de passionné·es qui expérimentent pour tenter de changer le monde (un octet à la fois). […] Nous tenons à notre modèle associatif, nous ne voulons pas croitre en mode “la start up qui veut se faire plus grosse que Google”. Si nous voulons garder notre identité sans nous épuiser à la tâche […], et si nous voulons continuer d’expérimenter de nouvelles choses, il faut que nous réduisions la charge qui pèse sur nos épaules.  » D’où le souhait de l’association de restreindre ou d’arrêter plusieurs services  [3] proposés actuellement.

    L’arrêt sera graduel (2021 au plus tard) et le souhait de Framasoft est que d’autres prennent le relais, afin d’héberger, maintenir, et améliorer ces outils, tout en respectant l’éthique libriste  : décentralisation, mutualisation et partage. Nous constatons régulièrement l’entrave, inconsciente et collective, à l’autogestion qu’est la spécialisation, dont une des facettes est la centralisation. L’efficacité, arborée comme prétexte au renforcement de cette spécialisation des mandats, ne peut être tenue pour seule cause. S’il n’existe pas de remède miracle pour élargir et faire durer les pratiques autogestionnaires, Framasoft nous donne un élément de réponse.

    Vive l’autogestion !

    En tant que communistes libertaires, nous saluons cette initiative humble et qui doit faire des émules… même si elle nous mettra un peu dans le framapétrin  ! Nous ferons de notre mieux pour aider à cette décentralisation.

    Marouane Taharouri (UCL Naoned)

    [1«  Surveillance : Coupons les grandes oreilles  », Alternative libertaire d’octobre 2013.

    [2https://joinmobilizon.org/fr/

    [3] Liste complète dans l’article «  Deframasoftisons internet  » du 24 septembre 2019 sur le le site Framablog.org.


    Par Sylvain Autogestion Économie
  • Pour un hôpital autogéré au service des usager·es

    18 Nov 2019

    Psychiatrie, urgences, blocs, MCO : pas un secteur de l’hôpital public n’est épargné par les restrictions budgétaires. Les usager⋅es et salarié⋅es sont les premières victimes de cette politique de casse du service public. Mais du médico-social aux EHPAD, du travail social associatif aux soins à domicile , c’est l’ensemble du secteur qui est appauvri.

    La fermeture de lits et de services, les sous effectifs permanents et les suppressions de postes : tout cela nous épuise au quotidien. La qualité de la prise en charge se dégrade depuis trop longtemps.

    Dans tous les hôpitaux, la révolte se répand

    Dans la continuité de la grève exemplaire des urgences débutée au printemps 2018, c’est aujourd’hui l’ensemble du secteur qui est en grève et dans la rue ! Les mouvements qui se construisent partout montrent que l’union et la détermination font peur au ministère.

    Pour une sécurité sociale autogérée

    Nous voulons une santé publique indépendante de la logique du profit et indépendante des gouvernements qui font cadeaux sur cadeaux aux groupes de santé privés. Les soins doivent être apportés avec la même qualité pour toutes et tous ! Chacun et chacune, indépendamment de son milieu social ou de sa situation administrative est le bienvenu à l’hôpital. Refusons les restrictions d’accès au soin, avec ou sans papiers, avec ou sans CB, nos services sont ouverts !

    Contre le piège du corporatisme

    Aide soignant, informaticienne, ouvrier, chirurgienne : tout le monde a la même légitimité à être dans la rue aujourd’hui. Depuis trop longtemps, les filières techniques et ouvrières sont laminées par les coupes budgétaires. Toutes et tous collègues, nous décidons ensemble de la grève que nous voulons pour l’hôpital que nous construirons. Et cet hôpital sera débarrassé des hiérarchies clivantes  !

    S’organiser ensemble, vivre l’autogestion

    Des années de régression sociale et de luttes infructueuses ont pu désespérer un grand nombre d’entre nous et les détourner de l’action commune. Aujourd’hui, alors que la colère s’exprime haut et fort, plus que jamais il faut s’organiser !

    Rejoindre les syndicats de lutte qui refusent d’être des «  partenaires sociaux  », rejoindre des collectifs de lutte, rien n’est contradictoire : tous les moyens sont bons pour construire le rapport de force !

    TDans tous les cas exigeons la démocratie et le respect de chacun⋅e dans nos cadres de lutte :

    • en mettant en place des assemblées générales décisionnaires
    • en imposant le contrôle et la rotation des mandats
    • en refusant la reproduction des pouvoirs symboliques de l’hôpital dans nos outils de lutte ainsi que le refus des oppressions systémiques comme le sexisme ou le racisme,
    • en refusant le corporatisme d’où qu’il vienne.

    Etudiant⋅es, salarié⋅es, usager⋅es l’Hôpital est à nous !

    Amplifions le mouvement dans tous les établissements !


  • Le Rojava doit vivre, il faut stopper l’invasion par l’armée turque

    10 Oct 2019

    Avec le feu vert des États-Unis, l’armée turque et ses supplétifs islamistes ont débuté l’attaque. Début 2018, avec un feu vert similaire de la Russie, les mêmes avaient envahi le canton d’Afrîn, avec pour résultat destructions, massacres et un vaste nettoyage ethnique. Aujourd’hui on peut redouter une répétition de ce scénario. L’équilibre entre impérialismes rivaux, qui avait profité pendant cinq ans à la gauche kurde, est à présent rompu. Cette trahison était attendue. La gauche kurde est désormais seule face aux tanks et à l’aviation turcs. Soutien total à la résistance populaire en Syrie du nord !

    Le 6 octobre au soir, Trump annonçait brutalement le retrait immédiat des troupes états-uniennes du nord de la Syrie, qui jusqu’ici jouaient un rôle dissuasif contre une invasion turque. Dans le même mouvement, la Maison-Blanche annonçait elle-même qu’Ankara allait pouvoir lancer son plan d’occupation du Rojava.

    Le 8 octobre au matin, rétropédalage : seuls une cinquantaine de soldats seraient redéployés loin de la frontière, et Trump, dans un tweet ahurissant, promettait dans sa « grande et inégalable sagesse » que si l’opération turque « dépasse les bornes » (lesquelles ?), il « détruira et anéantira complètement l’économie de la Turquie ».

    Les termes mêmes de la communication états-unienne montrent à quel point il faut ne lui accorder aucun crédit, au-delà de la cacophonie qui règne à Washington entre la Maison-Blanche, le Congrès, le Pentagone et la CIA…

    Erdogan et Trump doivent se rencontrer à la Maison-Blanche le 13 novembre. cc Anadolu

    Les soldats US ne feront plus obstacle à l’armée turque

    La réalité est que le « redéploiement » annoncé des soldats américains vers le sud signifie qu’ils ne feront plus obstacle à une incursion turque au-delà de la frontière syrienne.

    Or la revendication d’Ankara est de pouvoir occuper une bande de territoire de 30 kilomètres de profondeur tout le long de sa frontière, au titre d’une « zone tampon », soit disant pour des raisons de « sécurité ». Le fait est que la plupart des principales villes du Rojava se trouvent dans cette zone tampon : Qamislô (capitale de l’Administration autonome du nord et de l’est de la Syrie), Kobanê, Tal-Abyad, Derîk…

    Ankara compte ouvertement y installer une partie des 3 millions de réfugié·es syrien·nes qui vivent sur son sol, en vertu de la vieille politique ottomane de déportation de populations en fonction des intérêts politiques du moment. Cette entreprise ne déplairait pas forcément à Bachar el Assad. Elle pourrait même être compatible avec la politique de la « ligne verte » menée par la dictature syrienne dans les années 1970. Celle-ci consistait à rendre les Kurdes minoritaires au Rojava, en les expropriant de leurs terres au profit de familles arabes implantées à dessein, dans une logique colonialiste que l’on connaît bien en Occident.

    Un deal pourrait se dessiner : qu’Erdogan laisse Bachar et Poutine s’emparer d’Idlib – où les derniers reliquats de la révolution syrienne coexistent avec les gangsters djihadistes les plus sanguinaires –, et Bachar pourrait laisser Erdogan détruire ce Rojava qui défie insolemment son pouvoir.

    Après Afrîn, un nouveau nettoyage ethnique ?

    Pour faire oublier ses déboires électoraux, Erdogan veut cette invasion du Rojava. Il a besoin pour cela d’un deal avec Assad et Poutine d’un côté ; et d’une inaction bienveillante de Trump de l’autre. L’actuelle cacophonie américaine peut le décider à forcer le jeu et à attaquer le Rojava, en pariant sur l’absence de réaction américaine.

    Peut-on imaginer que demain, Kobanê, où la gauche kurde mit un coup d’arrêt à l’expansion djihadiste, soit occupée par l’armée turque, qui a parrainé Daech pendant des années ? Daech profitera d’ailleurs certainement de cette invasion pour se réimplanter et relancer ses exactions.

    En mars 2018, l’armée turque et ses supplétifs islamistes de l’ASL se sont emparés du canton kurde d’Afrîn. cc VOA

    L’invasion du canton d’Afrîn début 2018, avait fait des milliers de morts et conduit à une épuration ethnique, avec 250 000 Kurdes chassé·es de leurs maisons et remplacé·es par les familles des mercenaires de l’Armée syrienne libre (ASL). Aujourd’hui on est en droit de craindre, en pire, la répétition d’une invasion de ce genre.

    Sur place le peuple entier se prépare à une guerre totale, en se portant sur les lieux stratégiques et en stockant des vivres. Une telle bataille déterminera sans doute la continuation ou l’anéantissement de l’expérience révolutionnaire en cours au Rojava. Hier, l’ensemble des écoles et institutions étaient fermées pour permettre à toutes et à tous de manifester contre la menace.

    La solidarité est primordiale, il faut continuer à la faire entendre pour défendre la liberté et la révolution au Kurdistan. Vive la lutte des peuples de Syrie du nord pour leur autonomie, contre les calculs impérialistes de tous les tyrans !

    Guillaume (UCL Montreuil), Édouard (UCL Hautes-Alpes)


    SOLIDARITÉ INTERNATIONALE

    Le Conseil démocratique kurde en France (CDKF) appelle à des rassemblements de protestation partout en France, pour l’instant :

    • Paris : Samedi 12 octobre, 14h, Place de la République
    • Strasbourg : Mercredi 9 octobre, 18h30, devant le Conseil de l’Europe, et samedi 12 octobre, 14h, Place Kleber
    • Marseille : Samedi 12 octobre, 14h, Canebière
    • Nantes : Samedi 12 octobre, 16h, Place du Commerce
    • Toulouse : Mercredi 9 octobre, 18h30, Métro Jean Jaurès
    • Bordeaux : Samedi 12 octobre, 14h, Place de la Bourse
    • Grenoble : Mercredi 9 octobre, 18h, place Félix Poulat
    • Lyon : Samedi 12 octobre, 15H30, place Bellecour

    Les buts de guerre turcs, tels que défendus par l’agence TRT, une officine pro-Ankara. cc TRT


  • Grèce : Exarcheai, le quartier qui fait peur au bourgeois

    21 Sep 2019

    Le gouvernement de droite qui a succédé à Syriza a décidé d’en finir avec ce célèbre quartier d’Athènes, haut lieu de l’anarchisme et symbole de la résistance populaire.

    En 2015, le parti Syriza, qui se présente comme une alternative de gauche à la politique austéritaire imposée par la Troïka  [1], faisait campagne avec le slogan «  L’espoir vient  ». Si cet espoir est bien parvenu à amener Alexis Tsipras au pouvoir, il a vite été douché. En quelques mois, la coalition issue de la gauche radicale et d’une partie du mouvement social s’est métamorphosée pour appliquer au mieux les directives européennes voire les anticiper. La politique économique menée par Syriza ne s’est finalement pas démarquée de celles de ses prédécesseurs du Pasok (PS grec) ou de Nouvelle Démocratie (ND, droite).

    Il n’est donc pas étonnant qu’en juillet, lors des élections législatives, Syriza ait été renversée par Nouvelle Démocratie, avec à sa tête Kiriakos Mitsotakis. Ce dernier s’est fait élire sur la base d’un programme très à droite, notamment sur les questions de «  sécurité  ».

    L’une de ses promesses de campagne phares était l’augmentation massive du recrutement de policiers, avec 1 500 postes supplémentaires. La rhétorique sécuritaire fonctionne d’autant mieux en Grèce que le pays constitue ces dernières années la principale porte d’entrée dans l’espace Schengen pour les personnes qui n’ont pas la chance d’obtenir un visa. Depuis 2015 en particulier, le pays est confronté à une sévère crise de l’accueil. À titre d’exemple, plus de 630 000 personnes sont passées par la seule île de Lesbos. Face à cette situation, les autres pays européens ont refusé d’accueillir plus de monde ou ont carrément cherché à fermer leurs frontières et à criminaliser l’entrée irrégulière sur leur territoire.

    En Grèce, un formidable élan de solidarité populaire a accompagné l’action des ONG pour permettre un accueil le plus digne possible. Mais la droite et l’écrasante majorité des médias dominants jouent depuis des années un jeu dangereux en assimilant la criminalité, notamment le trafic de drogue, aux migrants et aux réfugié·es. Fait symptomatique  : le ministère de la Politique migratoire a été absorbé par l’équivalent du ministère de l’Intérieur grec, déléguant symboliquement l’accueil des migrantes et migrants à la police. Les contrôles aux frontières et dans les grandes villes se sont renforcés et l’État cherche à accélérer le renvoi des migrantes et des migrants vers la Turquie, au mépris de tout respect pour les droits humains. La droite a également annulé un décret qui permettait l’accès à la sécurité sociale pour les migrants et migrantes.

    L’autoritarisme comme solution au clientélisme ?

    Nouvelle Démocratie domine la vie politique grecque depuis des décennies, en alternance avec le Pasok. Avant l’arrivée au pouvoir de Syriza en 2015, ces deux partis-institutions ce sont largement servis de l’appareil d’État pour placer leurs lieutenants respectifs à des postes stratégiques (et grassement payés) et pour récompenser leurs fidèles soutiens, notamment au sein du patronat. Le jeu consiste à hurler au scandale quand on est dans l’opposition et à reproduire le même schéma une fois au pouvoir. A peine un mois après son arrivée au pouvoir, ND a démis Vassiliki Thanou, ancienne conseillère d’Alexis Tsipras, de ses fonctions de présidente de la commission de la concurrence. Mais le meilleur reste à venir  : Nouvelle Démocratie entend «  dépolitiser la haute fonction publique  » (sic) en interdisant l’accès à une autorité administrative indépendante à quiconque aura occupé un emploi dans un cabinet ministériel ou une fonction politique. Reste à voir si cela s’appliquera également à ses propres soutiens.

    Dans le même temps, Mitsotakis fait la promotion d’une réforme institutionnelle qui vise à renforcer le pouvoir du Premier ministre (au détriment des autres ministres et du Parlement).

    Dans l’éducation également, on retrouve cette même volonté de contrôle avec une réforme qui propose d’évaluer les enseignantes et les enseignants tout au long de leur carrière. Les universités, en particulier, constituent des contre-pouvoirs bien trop gênants pour ce nouveau gouvernement. L’ouverture de l’enseignement supérieur à la concurrence et au privé relève de la même logique  : déshabiller et contrôler le secteur public de l’éducation pour ouvrir de nouveaux marchés juteux pour les capitalistes.

    Pays à vendre

    Mitsotakis a surfé sur le mécontentement populaire généré par dix ans d’austérité drastique. Syriza se vantait d’avoir rétabli l’équilibre financier du pays et d’être même en excédent budgétaire, mais à quel prix  ? Les taxes et les impôts se sont multipliés, alors que les salaires stagnent ou régressent. La droite n’avait donc qu’à cueillir le fruit. Elle s’offre le luxe en juillet de réduire la taxe foncière en faisant l’unanimité sur l’échiquier politique. Cette taxe, très impopulaire dans un pays où près des trois quarts de la population est propriétaire, était devenue le symbole de la crise.

    En revanche, le programme libéral que prépare Mitsotakis est clair et est fait pour durer  : diminution des taxes sur les entreprises, multiplication des partenariats public-privé (pour la rénovation du port du Pirée notamment), loi permettant au patronat de licencier sans motiver sa décision et sans prévenir le ou la salarié·e… Les taxes sur les dividendes devraient également être réduites de moitié. Et ce n’est probablement pas la Troïka qui verra des choses à redire à cette politique, même si elle continue de veiller au grain.

    Enfin, pour compléter le tableau, le premier décret du nouveau gouvernement a consisté, en deux lignes, à supprimer la brigade antifraude du fisc grec (SDOE). Créée il y a vingt-quatre ans pour combattre l’évasion fiscale (environ 30 milliards d’euros par an jusqu’à récemment), cette brigade appartient désormais au passé. Comme première décision politique, difficile de faire plus clair sur ses ambitions.

    L’épineux dossier anarchiste

    La Grèce est l’un des pays au monde où le mouvement anarchiste est le plus fort. En effet, les luttes étudiantes des années 2000 et surtout le soulèvement de décembre 2008, après l’assassinat d’Alexis Grigoropoulos (15 ans) par un policier, ont énormément contribué au développement de l’anarchisme dans ce pays.

    Depuis 2015, un groupe s’est particulièrement fait connaître sous le nom de Rouvikonas («  Rubicon  ») en multipliant les actions de solidarité et d’entraide, de participations à des manifestations de rue ou d’actions directes contre des institutions étatiques, des représentations étrangères (le consulat français a été pris pour cible à plusieurs reprises) ou des représentants du capitalisme en Grèce. Basé sur l’automédia, le groupe pratique une forme d’action directe qui se veut radicale et accessible. Le discours est volontairement simple, les cibles sont souvent consensuelles (siège du patronat, ministère de la Défense, Banque nationale) et les actions sont revendiquées au grand jour.

    Nouvelle Démocratie entend résoudre le problème en transformant la loi pour que de telles actions du groupe tombent sous le coup de la législation antiterroriste et que l’ensemble des membres puissent être tenus responsables de toutes les actions commises au nom du groupe, y compris celles où ils et elles ne sont pas présentes. Les plus exposés d’entre elles et eux encourent en ce moment des peines de plusieurs années de prison pour des faits qui relèvent normalement, d’un point de vue juridique, du simple vandalisme.

    La bataille d’Exarcheia

    Rouvikonas fait partie de la myriade de collectifs anarchistes qui font vivre le quartier d’Exarcheia à Athènes. L’État grec estime que ce dernier abrite 23 occupations, dont 11 lieux de collectifs anarchistes et anti-autoritaires. Les 12 autres abritent des migrant·es et des réfugié·es, qui seraient à la rue sans l’action des militant·es. Sans compter les lieux légaux (sièges de maisons d’édition, coopératives tenues par des militant·es…) qui existent également dans les environs, et le parc autogéré de Navarinou, érigé depuis dix ans en lieu et place d’un projet de parking.

    Mais pour la droite, le quartier d’Exarcheia, c’est avant tout la drogue et la violence, protégées par «  l’asilo  » universitaire. Depuis l’insurrection étudiante de 1973, les universités sont un sanctuaire quasiment interdit à la police. Nouvelle Démocratie entend abolir cette loi pour pouvoir aller chercher les manifestantes et manifestants qui s’y réfugient et s’y préparent lors d’affrontements avec la police. À Exarcheia, la fameuse faculté de Polytechnique figure explicitement parmi la short-list des lieux à mettre au pas pour le nouveau gouvernement. Au mois d’août, la police a réalisé pas moins de quatre descentes dans le quartier, prétextant des opérations antidrogue.

    Derrière ça, l’objectif est bien de «  nettoyer  » ce quartier central pour le préparer à la gentrification et au marché de la location touristique sur lequel lorgnent tous les promoteurs immobiliers. Comme le dit bien Katerina Papakosta, députée ND devenue vice-ministre de la Police dans le gouvernement Tsipras en 2018, l’enjeu est de «  faire d’Exarcheia la Montmartre  » grecque. Vider «  pacifiquement  » les lieux rebelles, puis effacer les graffitis qui décorent les murs, «  verdir  » le quartier, rénover les bâtiments et en faire disparaître l’empreinte libertaire qui l’a façonné le quartier depuis des décennies en tenant la police, l’État et les mafias en respect.

    Le gouvernement met ainsi la pression sur tous les pans de la société, et en particulier sur celles et ceux qui résistent le plus. Mais le mouvement social grec n’est pas mort et les camarades fourbissent leurs armes en attendant les batailles à venir. Alors que nous mettons sous presse, une violente attaque policière a visé quatre squats d’Exarcheia, dont deux où étaient logées 143 exilé·es, amené·es dans un centre en vue de contrôler leur situation. Trois autres personnes ont été interpellées. La solidarité internationale aura un rôle important à jouer pour soutenir la résistance à Exarcheia.

    Gio (UCL Le Mans), le 26 août 2019

    Action de soutien du groupe UCL Fougères

    [1] En échange d’un prêt de refinancement de l’Etat après la «  crise de la dette  » de 2009, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international ont pris la main sur la politique économique et sociale du pays, imposant l’austérité au mépris des prétentions démocratiques.

  • Grèce : le pouvoir s’en prend au quartier rebelle d’Exarcheia, à Athènes

    01 Sep 2019

    Depuis des décennies, Exarcheia est un quartier à part à Athènes : haut lieu du mouvement anarchiste ; populaire et résistant à la gentrification ; accueillant pour les migrantes et les migrants. Pour toutes ces raisons, le pouvoir veut sa perte. Il vient de passer à l’attaque.

    Élu début juillet, le nouveau gouvernement de droite en Grèce, mené par Kiriakos Mitsotakis, affichait un programme clairement répressif contre les migrations et contre le mouvement anarchiste, acteur majeur de la solidarité en Grèce. Il passe à présent à l’offensive.

    Lundi 26 juillet, dès 6 heures du matin, un énorme contingent de différentes unités de police (anti-émeute, voltigeurs, renseignements, anti-terroriste…) s’est massé aux abords du quartier d’Exarcheia et a bouclé les rues avoisinantes. Ce lundi, ce sont au moins quatre occupations qui ont été visées par cette opération policière. Rue Spiro Trikoupi, deux occupations qui hébergeaient des personnes exilées d’Iran, d’Irak, d’Afghanistan, d’Erythrée et de Turquie ont été évacuées et murées dans la foulée. 143 personnes y ont été interpellées, parmi lesquelles se trouvaient 35 mineur-e-s, dont des bébés. Toutes ces personnes ont été emmenées dans une prison pour migrant-es, prétendument pour y vérifier leur situation administrative. On ne sait pas, pour le moment, ce qu’il adviendra pour ces personnes.

    Dans le même temps, les policiers ont fait une descente dans deux squats anarchistes du quartier, GARE et l’ex-squat Rosa de Foc. Tandis que ce dernier bâtiment était vide, ils ont arrêté à GARE trois camarades dont deux grecs et un français de 65 ans. Alors que le gouvernement et les médias bourgeois grecs s’obstinent à assimiler mouvement anarchiste, migrant-es et narcotrafic à Exarchia, les perquisitions n’ont permis la saisie que… d’un ordinateur et un masque. Plusieurs camarades font également état de contrôles incessants et de violences policières depuis plusieurs jours.

    Le but avoué du gouvernement est d’expulser l’ensemble des 23 occupations du quartier Exarchia. Un syndicaliste policier a d’ailleurs qualifié les habitant-es des squats d’Exarchia de « poussière nuisible » et de « déchets » qu’il entendait nettoyer, ce qui résume bien l’état d’esprit de la droite grecque ces dernières semaines. Par ailleurs, d’autres lieux, squattés ou non, dans Exarchia et ses alentours sont dans le viseur de l’État grec, que ce soit pour leur soutien aux migrant-es ou pour leur participation au mouvement social. Ainsi, le nouveau gouvernement a voté une loi qui abolit purement et simplement « l’asilo » universitaire, qui limitait depuis la chute de la dictature des colonels en 1974 la possibilité d’accès aux campus pour les forces de l’ordre.

    De nombreux lieux et collectifs et de nombreuses personnes en situation de détresse administrative et de logement sont donc toujours menacés, après cette attaque policière du lundi 26 août. Une manifestation a été appelé le soir même à 18h, au départ d’un lieu emblématique parmi ceux qui logent des personnes exilées à Exarchia depuis des années (Notara 26) et une assemblée générale devrait suivre dans la faculté Polytechnique, toute proche du quartier.

    Le mouvement grec s’organise pour résister mais il a besoin d’une forte solidarité internationale, qui rappelle à l’État grec que les mouvements émancipateurs du monde entier le surveillent actuellement. L’Union Communiste Libertaire soutient les occupations d’Exarcheia en lutte et appelle à renforcer leur résistance par tous les moyens possibles.

    Union communiste libertaire , le 28 août 2019


  • Le média alternatif « Rapports de force », relais des mobilisations

    20 Août 2019

    Les mouvements sociaux sont souvent relatés, de la part des journalistes employés par les grands médias, de manière trompeuse et partiale. Loin des forces qui soumettent les journalistes, le site web Rapports de force raconte les luttes et rend la parole à celles et ceux qui ne l’ont plus.

    Au mois d’avril, Rapports de force [1] a soufflé ses deux premières bougies. Deux années à traiter de l’info pour les mouvements sociaux. Raconter les luttes, parcourir les manifestations, tenter de rendre intelligibles les mauvais coups du gouvernement ou des patrons. La tâche est immense, mais tellement nécessaire.

    Le parti pris de ce site d’information est de traiter avec bienveillance celles et ceux qui sont le plus souvent dépossédé⋅es de leur pouvoir, mais qui décident d’agir pour ne plus subir. Une bienveillance que de trop nombreux médias réservent à celles et ceux qui ont déjà tout : pouvoir, argent, influence et parole bien assurée.

    Depuis vingt-quatre mois, la rédaction se plie en quatre, certains jours en huit, pour essayer d’être à la hauteur de ces enjeux. Pour fêter son deuxième anniversaire, Rapports de force est parti à la rencontre de ses lecteurs. Des débats et soirées de soutien ont été organisés, durant le mois de mai sur le thème du traitement journalistique des mouvements sociaux.

    Le temps, c’est de l’argent… pas de l’info

    Ces débats ont permis de mettre en avant pourquoi et comment les média traditionnels et établis traitent l’information sur les mouvements sociaux de manière altérée. Le sujet est souvent traité de manière biaisée car le journaliste doit composer avec différentes forces influençant son « objectivité » : le temps accordé pour traiter le sujet ; les rapports de forces entre le média et le capitaliste-propiétaire ; la classe sociale du journaliste.

    Les journalistes doivent, ­aujourd’hui, produire toujours plus vite des informations exclusives, sans prendre le temps de vérifier les sources. Les articles et les dépêches sont recopiés d’un journaliste à l’autre, souvent mot pour mot. Ainsi les mêmes approximations et les mêmes biais de lecture s’accumulent et se propagent aisément.

    Les lignes éditoriales de nombreux médias se regroupent et se confondent souvent avec les intérêts des capitalistes d’aujourd’hui. Le Monde diplomatique et le Parti de la presse et de l’argent (PPA) publie une carte [2] régulièrement mise à jour de la concentration des médias d’informations (journaux, télé, radio…) dans les mains de différents hommes d’affaires. L’uniformisation de l’information et son allégeance vis-à-vis de la classe dirigeante !

    Reproduction sociale et corporatisme

    Les écoles de journalismes et la cooptation des journalistes au sein des rédactions permettent la reproduction sociale d’un certain journalisme bourgeois. Ainsi, dans cet ­entre-soi, aucune place n’est faite pour des mouvements sociaux hors-normes et encore moins révolutionnaires !

    Rapports de force a des moyens extrêmement limités et son avenir n’est pas assuré. Gratuit pour être accessible à tous, sans publicité pour préserver son indépendance, il dépend exclusivement de son lectorat. Autant le dire sans fard : la suite dépend grandement de ses lecteurs et lectrices !

    Julien If (UCL Lyon)

    [1] https://rapportsdeforce.fr

    [2] «  Médias français, qui possède quoi », https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA.

  • Edito : Fusionner pour se dépasser

    14 Juil 2019

    Le processus engagé entre Alternative libertaire et la Coordination des groupes anarchistes est donc parvenu à son terme.

    L’Union communiste libertaire est née sous les acclamations du congrès de l’Allier. C’est une réussite politique et celle d’une méthode.

    Voulant éviter l’enlisement dans des discussions sans fin et sans but, aussi bien qu’une fusion hâtive et mal maîtrisée, AL et la CGA avaient coélaboré une « feuille de route » fixant chaque étape de discussion, de vérification, de validation, etc.

    La philosophie générale en était : pas de négociations d’appareils, pas de deal en coulisse. Tout devait être mis sur la table et approuvé collectivement. Dix-huit mois avaient été jugés suffisants pour faire le tour de la question, imaginer ce que pouvait être cette « fusion-dépassement » et aboutir au congrès conjoint de juin 2019 qui devait prononcer la décision finale.

    Mais un mécanisme, même bien conçu, ne fait pas tout. La bonne volonté, l’envie de surmonter les obstacles pour y arriver ont compté pour beaucoup. Et le climat de confiance créé par les Journées d’été rouge et noir de juillet 2018 y auront sans doute grandement contribué. Sans cette bonne volonté de part et d’autre, le processus aurait pu, à plusieurs reprises, déraper sur des pépins imprévus, dont chacun aurait pu devenir une pomme de discorde. Il n’en a rien été.

    Le pari de la fusion l’a donc emporté. Celui du dépassement le sera-t-il ? C’est notre action qui en décidera.

    UCL, 28 juin 2019

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