L’ambiance est à couteaux tirés sur le site du Nord. Les syndicats appellent au « droit de retrait général », et l’absentéisme dépasse déjà les 50 %. Mais la direction sanctionne pour retenir les salarié·es dans les entrepôts. Son but : profiter le plus longtemps possible de l’effet d’aubaine que représente le coronavirus pour la vente en ligne.
Les dirigeantes et dirigeants du site Amazon de Lauwin-Planque (Nord) se voient sans doute comme d’indispensables capitaines qui doivent garder la tête froide et conduire l’entreprise à travers la tempête du coronavirus, malgré que la machine est de plus en plus grippée, et que la moitié des salarié·es ont déjà fait défection… La moitié qui restent ? On va à la fois les bercer de bobards rassurants, et les tancer parce qu’ils manquent de prudence. Les « gestes barrières » bon sang ! Les distances de sécurité nom de nom ! S’ils tombent malades ? Bin ce sera de leur faute… La seule chose qui compte pour eux et elles, qui leur vaudra une médaille de Jeff Bezos, ç’aura été d’avoir traité le maximum de commandes pendant qu’il était encore temps, et d’avoir rentré le maximum de fric avant que le virus ait mis tout le monde sur le flanc.
Au début de la pandémie, en février, les syndicats SUD et CGT d’Amazon avaient alerté la direction du site en lui demandant quelles mesures elle pensait prendre si le virus atteignait la France. À l’époque, ils et elles nous ont ri au nez : « aucun risque »…
Il a fallu attendre l’annonce de la fermeture des écoles, le 12 mars, pour que nous obtenions une réunion extraordinaire. Mais toujours les mêmes réponses. Circulez, y a rien à voir. Le 14 mars, Édouard Philippe annonce la fermeture de tous les commerces non essentiels… L’aubaine du siècle pour la vente par correspondance ! Amazon s’en lèche les babines. Quelques jours plus tard on apprendra que la multinationale veut embaucher 100 000 personnes pour faire face à la demande.
Sur le site, il n’y a pas de masques, et si peu de gel hydroalcoolique qu’il faut aller en quémander dans le bureau du chef de secteur ! © Aimée Thirion, 2017
La direction distribue des « absence injustifiée »
Le 16 mars, l’intersyndicale d’Amazon Lauwin-Planque se réunit avec SUD, CGT, CFDT et FO. Même l’USID et la CAT, qui se moquaient de nous quelques jours auparavant, sont là. Il faut dire qu’ils sont à présent débordés par l’inquiétude qui monte de toute part chez les salarié·es. De cette réunion sort une adresse très modérée à la direction, réclamant des mesures de protection, mais pas encore la réduction drastique de l’activité. Le soir même, Macron annonce un semi-confinement, sauf pour les secteurs essentiels… Sans sourciller, Amazon va considérer qu’elle est une entreprise essentielle, qui va sauver la France !
Donc le soir même, nous envoyons un mail pour pointer une situation de « danger grave et imminent (DGI) » afin que les salarié·es puissent user de leur droit de retrait. Nous devons l’inscrire sans délai dans le « registre spécial de DGI », un livre obligatoire dans toutes les entreprises, que la direction doit tenir à disposition du CSE à tout moment. Il nous faudra attendre deux jours pour l’obtenir, parce que la direction « ne le retrouve pas »…
Selon la direction, les produits « essentiels » (hygiéniques par exemple) représenteraient 10% à 20% du catalogue d’Amazon. © Aimée Thirion, 2017
Après cela, les collègues se mettent les uns après les autres en droit de retrait, car il n’y quasiment pas de gel, pas de nettoyage systématique des outils de travail, pas de masques, et que le respect des « 1 mètre » est quasi impossible avec 2 500 travailleuses et travailleurs sur le site. Mais la direction refuse de reconnaître le droit de retrait et distribue des « absence injustifiée »… A présent, SUD-Amazon va attaquer aux prud’hommes pour faire reconnaître le DGI et faire annuler toutes les sanctions prises par la direction.
Quémande du gel à ton chef
La direction organise ensuite un simulacre de réunion extraordinaire pour le DGI, où elle explique les mesures qu’elle met en place… mais c’est bien trop tard ! Ce sont les mesures modérées que nous réclamions une semaine plus tôt, et elles sont inapplicables : il n’y a pas de masques, et si peu de gel hydroalcoolique qu’il faut aller en quémander dans le bureau du chef de secteur !
Les syndicalistes, eux, sont déjà à l’étape suivante : nous faisons chaque jour le tour du site pour inciter les collègues à ne pas venir par tous les moyens (droit de retrait, arrêt maladie…). Et ça marche : nous en sommes à 50% d’absentéisme, jusqu’à 65 % dans certains services. Mais même ainsi, il est impossible de faire respecter la distance de 1 mètre.
- Lire aussi : « Amazon : un collègue a tenu 5 ans ? On le surnomme “l’ancien” », Alternative libertaire, mai 2019.
Pour nous, la seule solution pour éviter le pire est de fermer au minimum quinze jours. Lors d’une réunion récente, la direction a admis qu’il fallait limiter l’activité à l’expédition de produits « essentiels » (hygiéniques par exemple), qui représenteraient 10% à 20% du catalogue d’Amazon. Nous avons sauté sur l’occasion : alors ça veut dire qu’il faut mettre en chômage technique au moins 80% du personnel ! Réponse embarrassée de la direction : ah oui mais non, pas du tout, ça ne marche pas comme ça, il faut que les gens viennent travailler quand même…
Leur ambition reste donc bien de continuer à expédier des jouets, des livres, des DVD, des câbles, des boules à facettes tant qu’ils le peuvent… Une telle hypocrisie est écœurante, et elle laissera des traces, même auprès des salarié·es les moins revendicatifs.
Jérôme (UCL Douai)
BOOM DES COMMANDES, DÉSERTION DES SALARIÉ·ES
Le 19 mars, la CGT Amazon rendait publique dans un tract son compte rendu d’une réunion téléphonique avec Ronan Bolé, président d’Amazon France Logistique.