Depuis des semaines, la Colombie comme le reste du monde subit les effets de la pandémie de Covid-19. Depuis l’arrivée de l’épidémie dans la région, les détenu-e-s manifestent pour demander des libérations massives. Le 21 mars, dans plusieurs prisons, les détenu-e-s se sont levé-e-s et la réponse de l’administration a été la répression dans le sang. Fin mars, les premières morts de l’épidémie étaient des détenu-e-s. Nous signons et diffusons ce communiqué d’Acción Libertaria Estudiantil, organisation communiste libertaire étudiante : la solidarité traverse tous les murs et toutes les frontières !
Dans le monde entier les prisons brûlent et les cris des prisonnier-e-s se lèvent contre le système de domination carcéral. Dans les prisons du monde entier, la suspension des visites et la négligence des administrations pénitentiaires face à la situation sanitaire ont mené les détenues à protester collectivement contre les potentiels foyers de contagion massive.
En Colombie, à la tombée de la nuit du samedi 21 mars, des hommes et des femmes de tout le pays ont fait résonner les prisons avec leurs cris de dignité, liberté et justice. Au milieu de la panique globale due au covid-19, elles et ils ont voulu interpeller cette même société qui les a condamné-e-s en grande majorité pour appartenir aux classes populaires. Elles et ils ont crié contre un système carcéral créé pour nier tous leurs droits.
Face aux revendications justes des détenu-e-s, l’État a répondu comme il sait le mieux faire : par des balles et du sang. Ce massacre d’État se solde par 23 mort.e.s dans la prison Modelo de Bogotá et 2 de plus dans la prison de Cómbita dans le département de Boyacá. À ceux-ci s’ajoutent plus de 80 blessé-e-s selon les données officielles. Le message de l’État aux mains de l’INPEC [administration pénitentiaire] est clair : la mort sera le prix de la lutte collective dans les prisons. Comme si de rien n’était, la ministre de la justice a laissé entendre que l’opération ayant causée ce massacre, c ‘était déroulée sous contrôle et fût couronnée de succès, proclamant quel a permis d’empêcher des « évasion criminelles ».
En réalité, tuer des prisonnier-e-s de manière indistincte ne fut certainement pas le résultat d’une panique des gardien-ne-s. Ce fut une stratégie de répression, visant à écraser la révolte, divisant les prisonnier-e-s entre celles et ceux qui participèrent au mouvement de protestation et les autres, générant rancœur et incompréhension, imposant ainsi un état de terreur. Au-delà des assassinats terroristes, par la torture et l’humiliation l’INPEC impose son pouvoir sur les corps des détenu-e-s. Cette situation pousse à l’extrême le rôle de la prison en tant qu’institution de domination des pauvres, des déviant-e-s et des racisé-e-s. Dans La Modelo, le 21 mars, les prisonnier-e-s n’étaient plus des personnes, mais des corps jetables, à la merci de la violence sadique de l’INPEC et de la police.
Ce meurtre perpétré par l’État colombien pourrait constituer l’un des pires massacres contre la population carcérale du pays de ces derniers temps, avec ceux commis par les paramilitaires entre 1999 et 2001 dans La Modelo [1]. Pourtant, face à de tels événements, la presse grand public a consacré ses articles à la première mort colombienne du virus et a renforcé la rhétorique autoritaire de l’État, incapable de reconnaître l’ampleur sans précédent du massacre perpétré par l’INPEC. En fait, au moment de l’écriture de ce communiqué, les prisons avaient tué plus que le Covid-19 en Colombie. Si la société en temps normal méprise la vie des prisonniers, l’absence de réaction politique réduit les victimes à des vies sans importance. Dans la logique du capitalisme, seules les vies qui produisent dans le système marchand sont importantes, et c’est en ce sens que les actes de barbarie du système pénitentiaire sont justifiés. Nous savons que la plupart des criminels se trouvent dans les rues et dans de grands bureaux où ils détiennent le pouvoir d’entreprises privées et du pouvoir public étatique.
Les actions de protestations des prisonnier-e-s ont abouti à la déclaration de l’état d’urgence pénitentiaire dans le pays, mesure grâce à laquelle entre 4 000 et 15 000 détenu-e-s pourraient être libéré-e-s des prisons : une avancée significative dans la réduction de la surpopulation carcérale qui garantit des conditions saines à ceux qui les habitent. Cela n’est pas dû au gouvernement, qui insiste pour ignorer la réalité critique des prisons colombiennes. C’est une victoire du mouvement carcéral, des hommes et des femmes qui ont choisi de revendiquer leur dignité derrière les barreaux.
Pour cette raison, nous voulons transmettre un message aux victimes du système carcéral qui se battent pour leur vie et leur dignité. Nous soutenons les mobilisations collectives et la défense légitime contre les homicides massifs de l’INPEC. Dans nos luttes, nous n’oublierons jamais celles et ceux qui ont été tué-e-s par l’administration pénitentiaire. Nous porterons toujours dans nos cœurs la douleur de cette répression qui nous laisse sans voix.
Aux parents des victimes de ce massacre d’État, nous exprimons notre solidarité et notre affection. Nous accompagnons vos demandes de justice et de vérité. Avec le poids de la mort dans nos cœurs, nous faisons aussi nôtre leurs pertes. En hommage à Yeison, assassiné par l’État le 21 mars 2020 à la prison de La Modelo. Toujours dans nos cœurs et nos luttes.
Acción Libertaria Estudiantil (Colombie)
[1] https://www.semana.com/nacion/articulo/carcel-la-modelo-como-descuarti zaron-y-desaparecieron-100-personas/461246