Cette note a été réalisée par le Groupe de Travail Économie de l’UCL, visant à synthétiser les données essentielles sur la situation économique que nous traversons avec la crise du coronavirus. Elle est aussi sourcée et factuelle que possible, et vise à mettre en lien les principales données sur la conjoncture économique avec des analyses politiques et sociales plus générales. Elle a néanmoins été réalisée par des militants qui ne sont pas des professionnels de l’économie. n’hésitez pas à signaler toute erreur au groupe de travail.
État de la production et de l’emploi
Entre le 29 mars et le 4 avril, plus de 105 000 demandes d’inscription au chômage ont été recensées, soit + 7,3% par rapport à la même période l’année dernière. Deux semaines plus tôt, c’était + 31,4% d’inscriptions à pole emploi par rapport à la même période il y a un an Concernant le chômage partiel, il a encore augmenté et concerne dorénavant 9 millions de personnes en France. Aujourd’hui, un salarié sur deux est payé par l’État provisoirement. Le nombre d’entreprises ayant demandé le chômage partiel s’élève maintenant à 700.000, soit plus d’une entreprise sur deux. Aux USA, c’est 22 millions de chômeurs en plus en 4 semaines. Pour le mois de mars, le nombre de créations d’entreprises est en forte baisse tous secteurs confondus, mais c’est dans l’hébergement et la restauration qu’on constate la plus lourde chute. Dans le secteur de l’information et de la communication, la baisse est plus modérée mais pas moins réelle. Selon l’INSEE, « les secteurs qui contribuent le plus fortement à la diminution de l’ensemble des créations [d’entreprises] sont le commerce (contribution de –5,1 points)*, les services aux ménages (–3,9 points) et la construction (–3,4 points) ».
Du coté du patronat, la situation de confinement n’est pas tenable du point de vue de la pérennité des profits. C’est pourquoi on peut lire dans la presse bourgeoise des appels à la reprise, quitte à mettre en jeu explicitement la vie des travailleuses et travailleurs. Un exemple éloquent dans une chronique d’Eric Le Boucher, directeur de la rédaction du supplément magazine des Échos : « Cela signifie qu’on doit en revenir à la stratégie de l’immunité collective et accepter les morts qui vont avec. On va régler la vitesse de sortie pour en limiter le nombre, tester pour repérer les Covid-plus et les Covid-moins, distribuer des masques, mais pas trop (il faut que les gens attrapent la maladie), enfreindre les libertés en traçant les malades repérés » Sans commentaire.
Macron, dans son allocution, a lui aussi encouragé la reprise avant le 11 mai : « Quand la sécurité des travailleurs et des entrepreneurs est bien garantie, ils doivent pouvoir produire ». Sauf que l’État et le patronat sont incapable de nous fournir cela, et pourtant des entreprises reprennent déjà le travail. Mais ce n’est pas une fatalité : après à une décision de justice (faisant suite à la plainte déposée par SUD) imposant l’arrêt de la livraison de produits non-essentiels, Amazon à décidé de fermer ses entrepôts en France. La firme fait ainsi pression en faisant du chantage à l’emploi bien que, comme nous allons le voir, elle ne soit pas à plaindre…
Situation de la sphère financière
A Wall Street, les grandes firmes du numérique (et notamment les fameuses « GAFAM » : Google, Apple, Facbeook, Amazon, Microsoft) battent des records historiques de capitalisation. Ce n’est pas très difficile à comprendre, puisque les mesures de confinement ont fortement accru la fréquentation d’Internet et les abonnements à divers services comme Netflix. Le Nasdaq, principal indice de Wall Street consacré essentiellement aux entreprises du secteur informatique, a connu le meilleur mois de son histoire et « probablement la meilleure performance mensuelle pour un indice US ». (par parenthèse, Amazon se gave depuis plusieurs semaines, ce qui se reflète dans les cours boursiers et dans la fortune de son PDG, Jeff Bezos, dont la fortune déjà scandaleuse a augmenté de 24 milliards de dollars ces quatre derniers mois. Cela rend les jérémiades d’Amazon France suite aux récentes décisions de justice d’autant plus indécentes…) Le Nasdaq est un indice intéressant à plus d’un titre : historiquement, il a été le tout premier marché à fonctionner de manière électronique, et ce dès sa fondation en 1971. Il s’agit également de la seconde bourse la plus importante des États-Unis (derrière le New York Stock Exchange, NYSE), et la quatrième à échelle du monde. Elle s’est imposée en faisant exploser de nombreuses start-up informatiques, mais au prix de krachs importants comme l’éclatement de la bulle internet en 2000. Aujourd’hui, on y trouve les GAFAM et de nombreuses entreprises comme Tesla, Texas Intstruments, Starbucks, Netflix, eBay, etc. Cet indice est donc un symbole et un indicateur central du capitalisme financier le plus high-tech. Il en concentre les ambitions et les innovations mais aussi les tares les plus délétères. Rappelons néanmoins que malgré l’euphorie du dernier mois écoulé, le Nasdaq est loin d’avoir retrouvé son niveau du 18 février dernier, où il culminait à une cotation inédite de plus de 9700 points, contre 8500 aujourd’hui.
Mais, parce qu’il y a un mais, tous les marchés américains et mondiaux ne se portent pas aussi bien, loin de là. Et c’est ce qu’il y a d’intéressant dans l’évolution des marchés financiers ces dernières semaines : contrairement à 2008 ou à des krachs antérieurs, la cause immédiate de la crise en cours n’est pas d’abord financière mais est explicable par l’arrêt d’une grande partie de la production économique mondiale. Or, cet arrêt est très inégal selon les secteurs : le bâtiment a connu une chute spectaculaire, de même que l’automobile ou le pétrole. Cet inégal ralentissement de la production se reflète dans les cours boursiers : l’indice Dow Jones, le plus vieil indice de Wall Street et du monde entier, est calculé pour refléter les tendances générales de la finance américaine, avec une bien plus grande variété de secteurs qu’au Nasdaq. Or, cet indice ne se relève que très timidement de l’effondrement des cours des mois de février et mars. Il a même légèrement diminué cette semaine. La tendance est la même du côté du CAC40, qui perd aussi quelques points cette semaine malgré une brusque remontée le 17 avril, explicable notamment par la timide reprise américaine. En un mot comme en cent : nous sommes encore loin d’en avoir terminé.
Mesures de politique économique
Le FMI prévoit la pire récession mondiale depuis 1929 (-3 % du PIB mondial). Au niveau international, l’annonce de la suspension d’une partie de la dette des pays les plus pauvres (de l’ordre de 14 milliards de dollars) ne peut être interprété comme un signe de solidarité Nord/Sud. En effet, celle-ci reste provisoire, partielle, et n’a pour but que de préserver en partie les économies exportatrices, notamment en Afrique. De plus, le nouveau prêt du FMI (11 milliards de dollars) est une goutte d’eau au regard des besoins réels des populations de ces pays, et sera sans aucun doute assorti d’exigences de privatisation dont cette organisation a le secret. La proposition consistant à annuler purement et simplement la dette africaine pourrait sembler plus généreuse. Mais elle doit se comprendre comme une course de fond contre l’activisme de la Chine en Afrique. Il ne faut pas oublier qu’en général, les pays « en développement » payent leurs crédits très cher, au point qu’il n’est guère coûteux d’en annuler le capital in fine, surtout en échange de nouveaux crédits pour relancer les exportations françaises… Cette principale mesure se déroule en parallèle de l’annonce, par l’administration Trump, d’un arrêt des financements accordés à l’Organisation mondiale de la Santé, accélérant ainsi la déliquescence des instances internationales et permettant à la Chine d’y renforcer son leadership.
Par ailleurs, certains pays se déconfinent progressivement (Iran), alors que les signaux d’une régression de la pandémie se font attendre et que les prémices d’une deuxième vague épidémique en Asie du Sud-Est se multiplient. Ces déconfinements, on le devine, sont des tentatives de sauvegarder la production davantage que l’état sanitaire de la population. Dans les pays les plus pauvres, le prolétariat souffre néanmoins énormément des mesures de confinement drastiques, qui se passent bien souvent sans mise en place de systèmes de ravitaillement ou de logistique adéquats, par manque de moyens. Globalement, très peu de gouvernements, voire aucun, n’adoptent des mesures capable de réorienter significativement la répartition des richesses ou le système économique vers un fonctionnement plus « vertueux », bien au contraire.
Lundi, Macron a annoncé de premières mesures de déconfinement à partir du 11 Mai, notamment par la reprise des écoles. On se doute que cette décision est prise avant tout pour pouvoir renvoyer les travailleurs au boulot. Mercredi 15, le gouvernement a annoncé une série de mesures : renforcement à hauteur de 110 Milliards du plan d’urgence, qui comprend l’extension du fond de solidarité pour les entrepreneurs, le financement du chômage partiel, les dépenses exceptionnelles de santé, mais aussi une possibilité de prise de parts dans des entreprises « vitales ». Par contre, aucune réquisition ou nationalisation n’a encore été annoncé alors que des entreprises pourrait être remise en marche pour les besoins sanitaires (Luxfer, Honeywell). Si le gouvernement affirme publiquement que les entreprises ne doivent pas verser de dividendes pour prétendre aux aides, il semble que cela relève du pur affichage médiatique : de nombreuses firmes ignorent purement et simplement les consignes. Enfin le paiement du chômage partiel reste problématique puisque l’entreprise doit avancer le salaire avant d’être remboursée. Ces annonces se sont doublées de promesses de primes pour les soignants (de 500 à 1500 euros), les fonctionnaires (jusqu’à 1000 euros), ainsi que des mesures destinées aux plus précaires (bénéficiaires du RSA et minima sociaux). Il va sans dire que ces annonces sont faibles, largement en-deçà des exigences des travailleurs et travailleuses de la santé depuis plus d’un an et de ce que requiert la situation sociale. On peut imaginer qu’elles seront davantage de l’ordre de la communication que véritablement effectives, sans oublier qu’elle s’accompagneront sans doute de mesures autoritaires et pro-capitalistes, comme des congés contraints et des allongements de la durée de travail.
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