Cette note a été réalisée par le groupe de travail Économie de l’UCL, visant à synthétiser les données essentielles sur la situation économique que nous traversons avec la crise du coronavirus. Elle est aussi sourcée et factuelle que possible, et vise à mettre en lien les principales données sur la conjoncture économique avec des analyses politiques et sociales plus générales. Elle a néanmoins été réalisée par des militants qui ne sont pas des professionnels de l’économie. n’hésitez pas à signaler toute erreur au groupe de travail.
État de la production et de l’emploi
Le point de conjoncture de l’INSEE en date du 23 avril nous apprend que l’économie française fonctionne à niveau de 35 % inférieur à la situation ordinaire. Sur la seule sphère marchande, la perte est estimée à – 41 %, et même à – 49 % en excluant les loyers. Si l’on resserre la focale sur l’agriculture, la perte d’activité s’accentuerait légèrement : –13 % contre –10 % il y a deux semaines. À l’inverse, dans l’industrie et la construction, la réouverture des entreprises atténue légèrement la perte d’activité : –39 % contre –43 % dans l’industrie –79 % contre –88 % dans la construction.
L’activité partielle est de mise pour 10 millions de salariés, et les embauches sont en baisse de 22.6%. Les conséquences pour les comptes de la sécurité sociale sont désastreuses : le déficit prévisionnel « optimiste » table sur 41 milliards d’euros, en partant du principe que les reports de cotisations patronales seront payées d’ici décembre 2020. Or, le gouvernement travaille déjà a son annulations pour certains secteurs… [1]
La consommation des ménages serait quant à elle inférieure de 33 % à sa normale. On remarque que l’agitation médiatique, la communication et les mesures gouvernementales qui encouragent la reprise ont peu d’effet sur la production et la demande. La relance de la production sera longue et dresser des perspectives sur le long terme est compliqué. Pour l’ensemble des secteurs, l’INSEE dénombre 80% de patrons pessimistes, chiffres qui dépassent ceux de la crise de 2008. [2]
Du côté du pétrole, les conséquences d’un épisode de tensions entre pays producteurs notamment entre la Russie et l’Arabie Saoudite se font encore sentir. Le 12 Avril, 23 pays producteurs (Opep +) ont certes trouvé un accord pour limiter leur production, malgré les tensions entre Ryad et Moscou : 10 millions de barils de moins seraient produits chaque jour. Mais cet accord ne prendra effet que le 1er mai. Du reste, on peut penser que cette diminution pourtant importante ne suffira pas à rééquilibrer le marché. [3] [4]
Situation de la sphère financière
Cette semaine, on a beaucoup glosé sur le prix du baril de pétrole [5], qui est devenu négatif à New York le lundi 20 avril. Ce petit événement n’indique en réalité pas grand-chose de positif ni, en réalité, grand-chose d’intéressant. Bien sûr, il est symptomatique de la chute brutale de la production économique en général, qui a beaucoup diminué la demande de pétrole. Cela se traduit par des réserves excessivement élevées, au point que les capacités de stockage sont saturées : les propriétaires cherchent donc à se débarrasser de leurs réserves, quitte à vendre à perte. [6]
Il ne faut cependant pas exagérer l’importance de l’événement. D’une part, ce prix concerne surtout les États-Unis et le Canada, parce qu’il prend pour référence le « West Texas intermediate » (WTI), une forme de pétrole brut exploitée en Amérique du Nord, et non le « Brent » qui fait référence en Europe. [7] Or, le Brent « sert de base tarifaire aux deux tiers de la production mondiale [8] et se maintient à un prix qui gravite autour d’une vingtaine de dollars pour chaque baril, avec une tendance à la baisse. Par ailleurs, les prix du WTI sont rapidement remontés après le plancher de lundi. [9]
En clair, ce qu’il faut retenir, ce n’est pas cet éphémère prix négatif mais la diminution générale des prix du pétrole à moyen-terme, qui est une mauvaise nouvelle : cette baisse marque le caractère irrésolu des conflits diplomatiques entre pays vendeurs et acheteurs de pétrole et la crise économique extrêmement grave que nous traversons. L’impact de cette baisse sur les prix de l’essence à la pompe est assez limité : le coût du carburant est grandement déterminé par la réglementation des autorités et par le niveau des taxes sur lesquelles l’État s’engraisse… [10] Quant aux effets écologiques, ils restent assez incertains : l’instabilité du marché pétrolier peut avoir tendance à décourager les investissements dans ce secteur, mais des prix durablement faibles du pétrole réduisent la compétitivité des énergies renouvelables. [11] [12] Après la crise, il est donc tout à fait probable que la reprise économique soit extrêmement consommatrice de pétrole faute de mesures politiques favorables à une transition énergétique ambitieuse.
La chute des prix du pétrole a pesé sur les cotations boursières générales, à Wall Street comme en Europe. Le CAC 40 a ainsi continué à fluctuer lourdement cette semaine [13], se maintenant globalement au niveau du dernier mois écoulé. [14]
L’indicateur du « climat des affaires » fourni par l’INSEE a connu ce dernier mois un écroulement jamais vu depuis sa création, passant de 94 points en mars à 61,7 points en avril. A titre de comparaison, au plus fort de la crise économique qui a suivi la crise des subprimes, une valeur plancher de 68,8 points avait été atteinte en mars 2009. Cet indicateur est construit à partir de plusieurs données collectées dans une enquête qualitative mensuelle et vise à représenter la confiance des patrons dans l’avenir de l’économie L’INSEE souligne néanmoins que la situation exceptionnelle a pu rendre la collecte des données moins précise que d’habitude. [15]
Mesures de politique économique
Les premières tentatives de déconfinement en Asie se soldent par un retour à la case départ (Japon, Singapour). Par ailleurs, l’absence de réaction appropriée au Brésil et dans une moindre mesure aux Etats-Unis commence à avoir des effets désastreux sur l’ensemble des deux pays. Tout semble indiquer que seul un traitement définitif permettrait de mettre fin à la pandémie.
Jeudi 23 avril, une nouvelle réunion des instances européennes se solde par un nouvel échec à mettre en place le mécanisme d’une dette européenne réclamée par les pays du « Sud » dont la France. Cet échec démontre la fragilité de l’Union et fait courir le risque que les États les moins solides empruntent à des taux prohibitifs, ce qui provoquerait une tension insupportable sur l’Euro.
En parallèle d’un déconfinement progressif, l’Autriche et certains landër (régions) allemands ont mis en place un pont aérien pour faire venir des travailleurs saisonniers roumains alors que les frontières sont fermées. La mesure a provoqué des bousculades aux aéroports, propices à la contamination des prétendants au voyage. L’État fédéral (ou les landër) prennent en charge non seulement le billet d’avion mais aussi l’hôtel pour la mise en quarantaine des ouvriers agricoles roumains ! Ne serait-il pas plus logique d’offrir des conditions de travail acceptables par des autrichiens ?
En France, le recours massif au chômage partiel et aux arrêts maladie (qui concernent plus de dix millions de salariés), ajouté au surcroît de dépenses médicales et combiné à la promesse d’une récession sans précédent entraînera un déficit inédit de la Sécurité Sociale : 41 milliards d’euros, dans une hypothèse « favorable » selon le ministre de l’économie. [16] Les dernières mesures votées par la droite au Parlement (déplafonnement de la défiscalisation des heures supplémentaires…), et celles déjà prises par le gouvernement n’arrangent en rien la situation. Celui-ci a beaucoup de mal à dissimuler que la date du début du déconfinement et de la réouverture des écoles donnée pour le 11 Mai se fait prioritairement pour l’économie et non pour devant le recul de l’épidémie, qui lui se fait difficilement sentir.
En parallèle, les plans de soutien envers certains secteurs se précisent (tourisme et hôtellerie, aérien…). Pour Air-France, le gouvernement débloque 7 milliards d’aides sans monter au capital et le gouvernement hollandais devrait ajouter 3 milliards de soutien à KLM. Des propositions de décalage des vacances d’été, ou d’allongement de la durée du travail serait à l’étude, sans plus de précisions. Ces secteurs, qui représentent des millions d’emplois sont à l’arrêt à 80 voire 95%. Les conséquences sociales et économiques de la crise en cours pourraient être catastrophiques pour tous les travailleurs qui dépendent de ces secteurs, et ravager socialement des agglomérations entières, comme Toulouse. [17]
Dans les mobilisations engagées autour de l’usine de bouteilles d’oxygène Luxfer, le gouvernement reste muet alors que le projet de SCOP (coopérative) est très avancé. En revanche, Macron opère un revirement inattendu en promettant un soutien via des commandes massives à la réouverture de l’usine de masques de Plaintel. L’usine est cependant à l’arrêt depuis plus longtemps.
On peut noter au passage que dans d’autres secteurs, la mise en place de mesures « d’urgence » par le gouvernement s’avère être un échec. Il en est ainsi pour l’agriculture où, comme dans d’autres pays européens, le secteur dépend de la main d’œuvre immigrée : la mise en place de la plateforme de volontaires par le gouvernement, malgré le succès des inscriptions (300000 personnes) [18], ne semble pas bien fonctionner (seulement 15000 travailleurs placés). Si les raisons de ce décalage ne sont pas encore connues, on peut penser que cette initiative s’est construite largement en dehors des demandes des agriculteurs sur le terrain, sur un constat bureaucratique grossier et le soutien des chefs d’industrie du secteur (FNSEA), très loin de l’organisation réelle dans les champs. Par ailleurs, les inspecteurs du travail s’inquiètent des conséquences sur des personnes mal préparées dans ce secteur où les conditions de travail sont très dégradées. [19]
Par ailleurs, même les concertations avec le patronat de grands groupes pour aider à l’économie de crise se révèlent complètement insuffisantes : seulement une cinquantaine de salariés de PSA seraient concernés pour le montage de respirateurs selon une source interne, et les possibilités d’utiliser réellement ces respirateurs sont hypothétiques. [20]
Après plus d’un mois en crise, un constat s’impose : le gouvernement se retrouve incapable, politiquement, de remettre en cause son dogme libéral, et d’imposer de manière sérieuse et efficace les mesures nécessaires pour répondre efficacement aux besoins sanitaires et économiques : planification, réquisitions, nationalisations et nationalisations d’ampleur ne sont visiblement pas au programme… Pire, il continue à prendre les dispositions qui pourraient amener à terme à un écroulement des systèmes de protection sociale déjà affaiblis.
D’une manière globale, la crise sanitaire du Covid-19 ne fera qu’exacerber les conditions préexistantes d’inégalité partout où elle frappe. A plus ou moins brève échéance, certains s’attendent à des soulèvements voire à des révolutions. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a d’ailleurs averti que la crise menaçait 1,25 milliards de personnes de « licenciements, pertes d’activité et de revenus » . [21] Or, la plupart d’entre eux étaient déjà pauvres…
Groupe de travail Économie de l’UCL, 27 avril 2020
[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4481458?sommaire=4473296
[3] https://www.insee.fr/fr/statistiques/4481458?sommaire=4473296
[14] https://www.boursorama.com/bourse/indices/cours/1rPCAC/
[15] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3532408?sommaire=3530678